ANNA KARINA, JEAN-LUC GODARD, NOUVELLE VAGUE .?
Jean-Luc Godard et Anna Karina sont encore sous le choc après ces retrouvailles-surprise organisées par Thierry Ardisson, vingt ans après leur séparation.
C’était aux Bains-Douches, la discothèque branchée, pour l’émission « Bain de Minuit » en 1987.
Lui, savait, Anna Karina, elle, ne s’attendait pas à cette rencontre. Elle ne fit face que le temps de quelques répliques, puis coupa court à l’interview et s’enfuit, visiblement bouleversée. La régie envoya le générique de fin et Jean-Luc Godard eut ce mot : « Et bien, je n’ai plus qu’à rentrer chez moi.
Que se passa-t-il le lendemain ? Ils ne pouvaient pas en rester là.
Imaginons.
Ils se sont donné rendez-vous dans un café du Quartier Latin, ou de la Bastille, peu importe le décor pour cette rencontre de pure fiction, suite et fin d’un raté du hasard.
Il est arrivé le premier et il a commandé un café. Ses mains tremblent un peu. Godard ému ? Il pense qu’elle ne viendra probablement pas. C’était stupide, cette idée de retrouvailles.
Il regarde sa montre et décide qu’il partira aussitôt son café avalé.
Lui redoute cette confrontation, les explications, les retours sur le passé. Tout cela est inutile et malsain.
Mais elle arrive, juste à l’heure. Elle porte le petit chapeau qu’elle arborait pour l’émission, elle est belle, à quarante ans, encore plus que lorsqu’il l’a rencontrée, il y a vingt ans.
Il se lève pour l’accueillir, ils ne s’embrassent pas.
Il crâne :
« Pourquoi es-tu partie si vite ? Ca ne se fait pas.
Elle s’assied près de lui sur la banquette et il doit se tourner vers elle pour l’écouter.
« C’était trop dur.
« D’accord c’était dur. Même pour moi. Mais il faut jouer le jeu. C’est le métier.
« On aurait pu me prévenir.
« C’était une surprise. Il croyait que ça te ferait plaisir.
« Ah, oui ! (elle a un petit rire) un plaisir...
Le garçon s’approche.
« Vous désirez boire quelque chose ?
Anna Karina le regarde de ses splendides yeux de biche.
« Quelle heure est-il ? Un café, s’il vous plait.
Derrière ses lunettes, Godard l’observe comme s’il la découvrait aujourd’hui. Elle explose soudain :
« Toi aussi, tu croyais me faire plaisir ?
Surpris, il murmure :
« Ben... oui !
Les yeux d’Anna lancent des éclairs.
« Parce que toi, tu étais au courant, non ? Tu as accepté de jouer à ce jeu pervers, par curiosité, comme ça, pour voir ce qui allait se passer, hein ?
Il baisse la tête.
« Tu me détestes, Anna ?
Elle respire profondément.
« Non.
« Pourquoi as-tu quitté le plateau, alors ?
Le garçon dépose un café sur la table et ne se décide pas à s’éloigner, il la boit des yeux.
Elle se redresse et sa voix devient plaintive :
« Tu n’as rien compris ? J’étais si émue que ça devenait impudique.
« Impudique ?
« Oui, oui, bien sûr, tout me revenait... Tous ces souvenirs... Tu as tout oublié, n’est-ce pas ?
Il a un geste de lassitude.
« Non, bien sûr que non. Je n’ai rien oublié, ce n’est pas par curiosité que j’ai accepté cette émission... j’avais... (il hésite) c’était un désir fou de te revoir.
Ils se taisent, un courant électrique passe entre eux tout à coup. Ce moment est de ceux qui peuvent faire basculer une vie. Mais le temps perdu ne se rattrape jamais, comme dit la chanson.
« Finalement tu as eu raison, dit Godard. Tout cela doit rester entre nous.
Un ange passe. Et puis comme pour revenir à la réalité :
« Tu es heureuse ?
Elle a un sursaut et articule sur un ton monocorde :
« Oui, je travaille beaucoup, je tourne film sur film, je n’ai pas à me plaindre, tu sais, je viens de tourner avec André Delvaux un très beau long-métrage...
Il rit, de son rire aigrelet.
« Non, je veux dire : heureuse ?
Elle tourne son visage vers lui et le fixe intensément. :
« Je ne sais pas ce que tu veux dire .
« Oui, à quoi bon, soupire Godard. De toute façon, cela ne me regarde plus. (Puis, brusquement :) Oh, Anna, redis-moi encore une fois « J’sais pas quoi faire ! Qu’est-ce que je vais faire ? »
Ils éclatent de rire tous les deux et Anna se prend au jeu. Elle débite la rengaine de Pierrot le Fou avec une mimique irrésistible.
Dans un même élan, ils s’étreignent en riant, comme soulagés, car la glace est rompue.
« Tu es toujours aussi bonne, dit Godard en se levant pour aller payer au comptoir.
Ils sortent enlacés comme deux vieux copains, et le garçon qui a tout entendu se dit que pour ces deux-là, « ça va continuer »...
La scène est imaginaire et le dialogue complètement improbable, mais cette fameuse émission sur la Cinq a bien eu lieu.
Le mystère reste entier sur l’effet qu’elle a eu sur la relation entre Godard et son ex-épouse et interprète.
Le garçon de café a-t-il vu juste ? Moi je suis pour l’amour toujours.
Miss Comédie