LES FOURBERIES DE SCAPIN à la COMÉDIE FRANÇAISE
L'instant théâtre
Magnifique spectacle. Re-découverte d’une pièce fabulaeuse, d’une langue supersonique, multiccolore, affûtée, d’un humour féroce et bienveillant à la fois, pièce d’une modernité aveuglante, des dialogues à la Audiard !
Passons sur le décor lugubre, qui ne nous laisse qu’entrevoir vaguement un port, des objets, des échafaudages, des accessoires habituels des ports, tout cela plongé dans le noir.
Les comédiens sont éclairés par des spots comme les tableaux d’une exposition. Un beau décor détournerait-il l’attention des intrigues qui font l’intérêt de la pièce ?
Mais qu’importe, lesdits comédiens sont éblouissants. Après quatre mois de représentations, l’énergie qui se dégage de leurs personnages est la même qu’au premier jour, fraîche et joyeuse.
Remarquable : ils « jouent ensemble », comme si les scènes s’enchaînaient spontanément, comme s’ils n’avaient pas répété chacune d’elles longuement, séparément... C’est une particularité de la troupe du Français, cette homogénéité dans le jeu des acteurs.
Mais parlons de Scapin. On sent que Podalydès a misé sur lui comme sur un lingot d’or. Le jeune homme est doué, il a en lui toutes les facettes d’un talent à maîtriser, car il peut devenir foutraque. Ce qu’il donne, dans ce rôle exorbitant, est irrracontable. C’est un Scapin survolté, surmultiplié, dansant, mutin, vénal, rusé, personnage odieux mais qui doit impérativement rester sympathique – un pari gagné haut la main par Benjamin Lavernhe .
N’en fait-il pas un peu trop ? J’ai eu par moment l’impression d’avoir quitté le théâtre pour assister à un one man show... Mais c’est que j’avais en tête le souvenir d’un autre Scapin, tout aussi bluffant mais avec une sensibilité qui rendait le personnage touchant. Vus lirez plus loin de qui il s’agit.
Ici, autour de Scapin, des collègues à la hauteur. Toujours pareil : l’homogénéité d’une troupe aux talents solidaires, capables de tout jouer, du premier rôle au second couteau, avec la même technique et la même intériorité.
Les costumes sont de Christian Lacroix – suprême raffinement ! Avec juste ce qu’il faut de rappel de l’époque, sans masquer le naturel, pour des personnages très « physiques » et finalement terriblement modernes ...
Maintenant, parlons de Zerbinette. Et si je m’ attarde quelque peu sur le sujet, c’est que j’ai eu la chance de jouer ce rôle très casse-gueule, sous la direction d’un jeune metteur en scène, Jean-Louis Thamin. Celui-ci venait de se distinguer à la Comédie Française dans sa mise en scène des Précieuses Ridicules.
Grâce à lui et au travail qu’il m’obligea à faire sur moi-même, j’ai réussi à faire de ce rôle un intermède joyeux dans cet imbroglio sinistre, et je suppose que Molière l'avait voulu ainsi... Il fallait à un moment donné, que la salle s'amuse !
Lors de notre premier entretien il m’avait demandé de rire et je lui avais fait une démonstration qui l’avait bluffé.
Je fréquentais alors un cours d’art dramatique où l’on nous apprenait les techniques du rire et des larmes, en dehors de l’art dramatique pur.
Car le rire, pour un acteur, est un exercice très périlleux. Rire, de façon prolongée, et donner au public l’impression que vous vous marrez vraiment, au point de communiquer votre rire à la salle entière, n’est pas aussi facile que de débiter un texte.
Respiration, humeur. L’un ne va pas sans l’autre. Si vous ne savez pas respirer, votre rire sera un hoquet au bout de trois ah, ah, ah.
Et si vous n’avez pas trouvé en vous un souvenir, une image ou une idée qui vous rende hilare, votre rire sonnera faux et aucun spectateur n’aura envie de se joindre à vous.
Zerbinette est un rôle très dur. J’ai eu du mal à être à la hauteur d’un Jean-Luc Moreau qui donnait à son Scapin une dimension étourdissante. La troupe tout entière était à l’unisson.
(Photos)
Visiblement, Podalydès n’a pas travaillé sa Zerbinette au corps avec ces deux principes essentiels.
En tout cas le soir en question, nous avons eu une peine immense pour Adeline d’Hermy qui faisait des efforts visibles pour trouver un rire potable entre deux phrases et la salle muette n’attendait qu’une chose, c’est que son supplice prenne fin.
Peut-être était-ce un mauvais soir ?
Chaque soir amène son humeur, plus ou moins communicative.
Et quand on entend rire les spectateurs, c’est gagné, ça va tout seul.
J’arrête là mon cours d’art dramatique pour revenir au plaisir que m’a procuré le spectacle de ce soir. ¨Plaisir partagé par tous les spectateurs de la salle Richelieu qui ont ovationné longuement la troupe.
Superbe hommage de Podalydes à notre maître à tous, Molière, grand explorateur des turpitudes humaines.
La fin des représentations a eu lieu le 11 février...
Miss Comédie