VU DU PONT d'IVO VAN HOVE, AU-DESSUS DE LA MÊLÉE
linstant théâtre.
j’avais mon idée sur cette pièce d’Arthur Miller pour avoir découvert dans un Avant-Scène daté de décembre 1958 tout ce qu’il fallait savoir sur le texte et la distribution avec photos à l’appui. La mise en scène était signée Peter Brook, un débutant déjà célèbre à New-York et à Londres.
Eddie Carbone, c’était Raf Vallone. Un monument, baraqué comme un vrai docker, convaincant comme un vrai major du cinéma italien.
Lorsque j’ai vu que Charles Berling reprenait ce rôle de brute sentimentale, j’ai pensé « erreur de casting ». Mais j’ai voulu voir. La pièce est dure, le rôle casse-gueule. Mais quand on s’appelle Berling, on ne prend pas ce genre de risque sans réfléchir.
Et puis, l’accueil avait été enthousiaste.
Et puis, je soupçonnais qu’Ivo van Hove allait me surprendre.
La pièce était à Lyon en tournée, accueillie par le Radiant-Bellevue, belle salle partenaire du théâtre des Célestins.
Dans mon fauteuil, j’ai peu à peu perdu toute notion de ce que devait être, aurait dû être, Eddie Carbone, le héros d’Arthur Miller.
Pendant quelques minutes j’ai douté, je ne reconnaissais pas Charles Berling. Pourtant c’était bien lui, cette carrure, cette démarche pesante, cette voix sourde pleine de menaces. Face à la jeune Pauline Cheviller, plus vraie que nature, une révélation, il nous persuade que ce qui va se passer sous nos yeux est juste le reflet de la vraie vie.
Autour de lui, un quarteron de comédiens de la même trempe, soudés par leur implication dans ce fait divers tragique. Chacun d’eux donne sa vérité propre comme s’il était là non par la magie d’un texte mais par la volonté de Dieu.
C’est là que l’on devine la main de maître du metteur en scène.
C’est vrai, on l’oublie trop souvent : qui est capable de dialyser, de surmultiplier le talent d’un acteur, de lui donner le don d’ubiquité, de le rendre étranger à lui-même ? C’est le metteur en scène, mais tous n’ont pas ce pouvoir.
Cette histoire est à la fois d’une banalité terrible et d’un abîme de profondeur, un fait divers navrant et une tragédie grecque. L’absence de décor accentue encore cette vision intemporelle, une place nue devant la maison, éclairée par le sol dont la blancheur éclatante se teintera de rouge pour la scène finale.
J'étais frappée par le silence qui a régné dans cette salle pleine à craquer, tout le long de la pièce jusqu’à l’explosion des applaudissements.
Tout s’assemble, dans ce spectacle, comme dans une mosaïque parfaite. Mais le plus épatant est encore la cohésion totale des acteurs entre eux, comme s’il ne devait pas y avoir de fin à cette rencontre fusionnelle.
C’est rare.
C’est magique, le théâtre, vu d’en haut, vu du pont de Brooklyn, par exemple.
Miss Comédie
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