CYRANO DE BERGERAC, le film
Non, ce n’est pas celui de Podalydes, pas celui de Claude Barma surtout pas celui de Pitoizet, mais celui de Rappeneau, avec son Depardieu inégalable.
Ah, c’est un rôle difficile, Cyrano, tout en contradictions, il faut posséder tous les emplois à la fois : comique, tragédien, valet, jeune premier. Mais il faut avoir des bleus à l’âme et des balafres au cœur, savoir manier l’épée aussi bien que la plume. . Il faut avoir du sang de mousquetaire dans les veines. (Brave et voyou à la fois).
On ne peut pas composer le rôle de Cyrano.
Et dans quelle langue ! Les alexandrins non plus, ne supportent pas la mécanique.
Monter Cyrano de Bergerac au cinéma en 1990 dans le contexte historique est un vrai défi. L’entreprise est téméraire. Le travail sur le texte est complexe, Jean-Claude Carrière doit ramener la durée du film à deux heures et demie, la pièce de Rostand en comptait quatre…
Pari réussi sur toute la ligne, un casting éblouissant, décors et costumes «césarosés », il croûle sous les récompenses.
Gérard Depardieu est couronné meilleur acteur de sa génération, avec Cyrano il porte à l’apothéose son talent protéiforme.
Le film, qui a reçu le César du meilleur film, est un régal pour les yeux, tourné dans des décors naturels ou des lieux historiques et les images de Pierre Lhomme sont magnifiques.
Quant à,Cyrano, il prend souvent l’aspect d’un gnome hieux, chauve, affublé d’un nez monstrueux qui le défigure – cela n’enlève rien à leur talent, mais… Depardieu, lui, porte son nez si fièrement qu’on arrive à l’oublier pour ne voir que son regard enflammé et sa chevelure héroïque.
La tirade du nez est une scène d’anthologie, c’est celle que j’ai choisie aujourd’hui. Mais la scène finale du film ; la mort de Cyrano, est un monument d’émotion. Les alexandrins ont rarement tiré des larmes dans le répertoire classique. Ici, on sanglote.
ZOOM SIR MA SC!NE CULTE
La tirade du nez
Nous sommes au théâtre, on attend que Cyrano se produise sur scène mais il refuse tant que sa bête noire Montfleury s’y trouve. Il vient de l’apostropher vertement, d’ailleurs, et s’attire les foudres du public.
Dans le brouhaha, on le chahute, quelqu’un l’énerve en lui reprochant de faire scandale. Cyrano se retourne contre lui : « Et dites moi pourquoi vous regardez mon nez ? » Il voit rouge, s’emporte, tandis que la foule commence à se lasser.
Le vicomte de Valvert prend l’initiative de la révolte : « Il commence à nous fatiguer. Je vais lui lancer un de ces traits ! » et voilà le jeune coq qui s’avance vers Cyrano : « Vous ! Vous avez un nez… (Cyrano l’attend de pied ferme)… très … grand ! »
Le HA ! » de Cyrano n’augure rien de bon.
« C’est tout ?
« Oui.
Valvert n’en mène pas large. Sa boutade, au lieu de le calmer, attise le feu. Cyrano affûte sa riposte.
« Ah non ! C’est un peu court, jeune homme !
Valvert tourne les talons mais Cyrano le poursuit, lançant ses banderilles. Chacun de ses traits sera porté face à son jeune écervelé qui n’arrive pas à s’y soustraire (excellent Philippe Volter dans ce rôle ingrat).
Et c’est parti.
Les alexandrins s’envolent, les images sont hilarantes, poétiques, truculentes, naïves, tendres, insolentes, où diable Rostand est-il allé puiser ces définitions géniales d’un nez surdimensionné ?.
Rappeneau a filmé cette scène comme un grand mouvement d’ensemble, dans le rythme même de la tirade, chaque trait trouvant son écho dans les rires ou les protestations de la foule, Cyrano donnant le ton, ouvrant la marche toute en élans ponctués par le face à face avec Valvert.
Dans cette scène, on reste confondu par cette somme de talents : Rostand d’abord, Rappeneau ensuite, et Depardieu, tudieu. Et tous les autres, bien sûr, et ils sont nombreux !
Miss Comédie