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Le sermon de l'abbé de Villecourt

Publié le par Miss Comédie

Le sermon de l'abbé de Villecourt

RIDICULE

Film de Patrice Leconte

Le sermon de l'abbé de Villecourt

 

Pour moi, RIDICULE est le plus beau film de Patrice Leconte, mais aussi l'un des plus beaux de nos films historiques.

Mais  ce n’est pas seulement un beau film.

C’est un film qui ne datera jamais.  L’auteur ne porte aucun jugement, il décrit seulement ce que nous sommes depuis la nuit des temps.

RIDICULE, je l’affectionne particulièrement car il repose sur  le pouvoir des mots. 

Les mots, les mots… les hommes s’en emparent, s’en drapent, s’en affublent pour se distinguer, s’affirmer, se dissimuler.  Pour porter des coups mortels, à l’occasion.

 

Ici, dans la débauche de richesse de la Cour de Versailles, une poignée d’aristocrates désoeuvrés jouent à se provoquer avec une élégante hypocrisie.  On assiste à des duels où les mots se décochent   comme autant de flèchettes empoisonnées.

 

Jean Rochefort qui fut le premier à lire le scénario de Rémi Waterhouse, le remit à Patrice Leconte avec ce commentaire : « Lis ceci, c’est un western où les mots remplacent les colts. »

  Rémi Waterhouse n’a pas pu se réjouir la mort a mis un point final à son jeune talent.   Patrice Leconte lui a offert, avec la magie de sa caméra,  un chef d’œuvre intemporel.

 

RIDICULE a été un énorme succès en 1996. Ovationné à Cannes, plusieurs fois récompensé aux Césars, il manqua de peu l’Oscar du meilleur film mais qu’importe ?  Il reste un fleuron du cinéma  français. 

 

Le casting n’est pas ridicule, avec les acteurs qu’il fallait :   Rochefort, Giraudeau, Fanny Ardant, et la clique de seconds rôles attitrés qui ne déparent pas dans le décor. Et puis un inconnu  pour trancher sur ce parterre de célébrités :  Charles Berling, héros et victime de ce ces jeux du cirque. Son personnage, le baron Ponceludon de Malavoy, est venu de sa province pour implorer la faveur du Roi.  Ce jeune homme  a de lesprit, ce qui en fait très vite le rival et l’ennemi du beau parleur en titre, l’abbé  de   Villecourt, que joue Bernard Giraudeau avec panache.

C’est lui que j’ai choisi pour ma scène culte, mais j’aurais aussi bien pu en choisir une dizaine d'autres, tout aussi succulentes.

Le sermon de l'abbé de Villecourt

Toute la Cour réunie autour du couple royal, assiste au sermon dominical de l’abbé de Villecourt. Giraudeau s’échauffe peu à peu. Il nous offre  une démonstration héroïque de son éloquence théâtrale, une débauche de citations bibliques, de périphrases incompréhensibles, il se déchaîne, il entre en transes devant un auditoire pantois. 

Pour finir, échevelé, les yeux brillants de fièvre, le front ruisselant, il s’écrie « et voilà comment, mes chers frères, je viens de prouver l’existence de Dieu ! »  Le Roi Louis XVI donne le signal des applaudissements.  C’est un triomphe.  Encouragé, l’abbé enchaîne : « … et je pourrais tout aussi bien  prouver le contraire… s’il plait à sa Majesté ! »

La boulette.  Le Roi, offusqué, se lève, visage fermé, visiblement choqué par le blasphème, et quitte la chapelle, suivi de toute la cour, avec cette phrase ; « La Bastille vous attend, philosophe ! J’y veillerai. »

L’abbé reste planté, bouleversé, fou de regret de sa maladresse, et s’adresse à la comtesse de Blayac sa maîtresse :

« Mais… mais c’était juste un bon mot !   Madame, faites quelque chose ! »

Le Roi n’a pas apprécié le bon mot, il est des boutades qu’il vaut mieux éviter d’adresser aux  souverains de droit divin…

« Je ne peux rien pour vous,  rétorque  la comtesse froidement tout en passant son chemin.

Il n’aura plus accès à sa chambre.  Ni aux faveurs du Roi. L’abbé de Villecourt est « mort ».

 

Une mort parmi quelques autres dans ce film où les aristos s’entretuent tranquillement à coups de pointes assassines, sans savoir que la Terreur allait bientôt  leur faire beaucoup plus mal.

Le grand talent de Patrice Leconte est d’avoir donné aux noirceurs de cette  époque les couleurs d’un univers de magnificence un régal pour les yeux.

 

Miss Comédie

        

 

 

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