ZOOM SUR LES SCÈNES QUE J'AIME
L’AFFAIRE THOMAS CROWN : LA PARTIE D’ÉCHECS
Changement de registre.
Après la partie de cartes drôlatique, voici la partie d’échecs érotique. Restons calme.
Le film, réalisé par Norman Jewison est sorti en 1968. En `France cette année-là on découvrait sous les pavés la plage. Les spectateurs du film, eux, découvrent sous l’échiquier, l’orage.
Cet échiquier est la plaque tournante du film, le « pré » où vont s’affronter un homme et une femme en combat singulier.
L’éternelle guerre des sexes, en somme.
Nous avons ici la victoire de l’homme dans une fin très machiste, c’est pourquoi une deuxième version a été tournée par un John Mc Tiernan qui inversait les rôles en 1999.
Les acteurs sont deux stars en pleine gloire :
Steve Mc Queen s’empare du rôle que Sean Connery venait de refuser. Il dira plus tard que ce fut son r ôle favori. Evidemment, une scène comme la partie d’échecs ne se retrouve pas souvent dans une carrière… A la lecture du scénario, il a dû immédiatement flairer la scène d’anthologie, même s’il a sauté la partie elle-même pour ne s’intéresser qu’à la fin.
Il avait 38 ans et jouait son rôle de séducteur à la ville comme à l’écran.
Faye Dunaway, elle aussi, se vit offrir le rôle de Vicky Anderson après le refus d’ Anouk Aimée et de… Brigitte Bardot. Elle avait le vent en poupe après son succès dans Bonnie and clyde.
Cette année-là, elle débutait une love affair avec Marcello Mastroianni – double échec pour Thomas Crown !
Regardons maintenant cette scène.
Les amateurs d’échecs, tout à l’observation de la stratégie de chacun des coups, ne seront sûrement pas insensibles à la bouffée d’érotisme qui s’en dégage, et pourtant, à première vue il ne se passe rien.
Ils sont dans la pénombre, leur visage est impassible. Ils sont visiblement concentrés sur… l’issue de la partie.
Front plissé pour Thomas Crown, il évalue, anticipe, et joue. Geste précis, regard froidement satisfait de son coup.
Elle, en fait un peu plus. Elle réfléchit, cela se voit, mais tout en passant négligemment la main sous le tissu de son décolleté, geste innocent qui veut dire « voyez, je fais n’importe quoi, sans y penser vraiment » et elle jette un regard rapide sur l’adversaire, et elle prend une pièce noire et elle joue.
Attente. Non, il ne se passe rien, on se dit « mais non, c’est moi qui pense toujours au… » et la caméra tourne autour d’eux, fait des plans impossibles, on voit le feu de cheminée qui brûle, lui, ouvertement, on revient sur les deux adversaires qui se mesurent.
On entend deux mots, murmurés au sujet de la partie ? On ne comprend pas bien ce qu’ils disent.
Encore deux ou trois coups, les pièces avancent vers la fin. La tension monte. (car après tout, le jeu est passionnant, et puis il faut gagner, ce n’est pas le moment de penser à autre chose…)
Le front de plus en plus plissé, beau à tomber, Thomas Crown a un regard féroce et elle l’ignore, avec un doigt posé sur sa bouche, qui lisse la pulpe des lèvres. Elle est vraiment garce. Surtout qu’elle prend son Roi et le place, échec et mat.
A ce moment du film, la Femme est la plus forte. Mais…ça va changer.
Ils restent un moment immobiles. Il se lève, fait le tour de la table, l’arrache à son siège et… fin de la bouffée d’érotisme. On est dans l’acte enfin, et si longtemps retenu le désir est d’une douce violence. Le baiser aussi restera dans la mémoire collective.
Dans ce genre de scène, la première prise est la bonne, ou alors on tombe dans le film porno. On imagine donc Mr Jewison après avoir dit « coupez ! », s’avancer vers ses deux acteurs pour leur serrer la main. « Wonderful ! Thank you very much ! ».
C’est marrant, le métier d’acteur...
Miss Comédie