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En attendant les nouveaux lendemains de Miss Comédie...
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En attendant les nouveaux lendemains de Miss Comédie...
COCTEAU ET LA VOIX HUMAINE
Cette voix, dont chaque être humain possède un exemplaire unique inscrit dans l’ADN comme notre empreinte digitale, possède un attrait mystérieux sur certains êtres et laissent les autres indifférents, comme ces chants d’oiseaux qui ne reçoivent de réponse que des oiseaux de même famille.
C’est comme cela que Cocteau eut le cœur chaviré en surprenant la voix d’une femme à travers la cloison d’une chambre d’hôtel, dit on, et eut l’envie irrésistible de reproduire cette scène dans une pièce de théatre.
Etrange entreprise ! Car ce monologue, entrecoupé de silences, et qui ne dure que quarante cinq minutes avec un seul personnage et dans un seul décor a de quoi dérouter les habitués de grands déploiements scéniques en vogue à cette époque.
Ce qui se joue ici, pourtant, et Cocteau l’a bien compris, c’est une tragédie intime qui remplit l’espace d’une émotion palpable, la voix humaine étant l’instrument unique de toute une gamme de sensations chez le spectateur.
La femme, qui est allongée sur son lit, dans sa chambre, le téléphone à la main, est nerveuse.
Elle n’arrive pas à établir la liaison avec celui qu’elle appelle « mon chéri ». La communication est sans cesse coupée, le dialogue s’établit au bout de quelques minutes et l’on comprend vite qu’il s’agit d’une rupture douloureuse et de la fin d’une histoire d’amour.
Peu à peu s’infiltre dans le cœur du spectateur le souvenir enfoui d’une peine semblable éprouvée un jour, avec l’usure d’une amitié qui s’effrite ou d’un amour déçu, et l’émotion s’installe jusqu’à ce que la main laisse tomber le téléphone, abandonnant la partie.
Il faut à la comédienne beaucoup de talent pour transmettre cette émotion au public avec un texte aussi succinct . Lors de la première représentation à la Comédie Française, le 17 février 1930, Berthe Bovy était acclamée par le public tandis que Cocteau saluait sous les huées d’un groupe de surréalistes mené par André Breton… La nouveauté dérange...
Pourtant la pièce fut reprise plusieurs fois à la scène, et même adaptée à l’Opéra avec une musique de Francis Poulenc.
Un succès qui eut la vie dure ! Trente ans plus tard le producteur Jacques Canetti contacta Simone Signoret pour enregistrer une version sur disque.
Celle-ci accepta à condition de l’interpréter chez elle, sur son lit et avec son propre téléphone.
L’actrice parcourut les soixante pages de texte et l’enregistrement fut lancé. Une seule prise fut nécessaire mais Simone Signoret, en larmes, refusa de l’écouter, elle était bouleversée.
Yves Montand réussit à la convaincre de signer le lancement sur le marché de ce disque unique, que l’on trouve encore sur le catalogue Amazon, comme une relique « collector ».
Pour conclure avec la magie de la voix, rappelez-vous que lire un livre n’est pas le seul moyen de le découvrir.
Miss Comédie
Août 2023
Lili et Lolita, copines d’enfance, sont allongées dans des transats à l’ombre d’un tilleul.
Lili, qui vient de rater son bac, rêvasse.
Lolita les yeux fermés , écoute son smartphone avec ses écouteurs, en plein ravissement semble-t-il.
Lili
Tu écoutes de la musique ?
Lolita
Non, j’écoute un livre audio
Lili
C’est quoi, ce livre odieux ?
Lolita
A la Recherche du Temps Perdu.
Lili
Ah oui, ce doit être odieux, ça. Et tu cherches quoi, au juste ?
Lolita
Moi, rien, l’auteur de la recherche, c’est Proust.
Lili
Ah ! Oui ? Gaspard Proust ? J’adore, il est tordant ! Il écrit des livres ?
Lolita
Non, imbécile, pas Gaspard, Marcel Proust.
Lili
Ah bien sûr, Marcel Proust, je vois. Et pourquoi tu l’écoutes, au lieu de le lire, comme tout le monde ?
Lolita
Parce que j’adore l’entendre raconter sa vie, c’est époustouflant !
Lili, amusée
C’est lui qui raconte, d’après toi ?
Lolita
Bien sûr, c’est lui, puisqu’il est l’auteur.
Lili
Tu entends sa voix ?
Lolita
Oh oui, je l’entend, il me touche profondément.
Et toutes ces voix qui l’entourent... C’est magique...
Lili, inquiète
T’as vu un docteur ?
Lolita, furieuse
Tu peux pas comprendre, c’est trop beau.
Lili
Sept robots ? Ca y est j’ai compris ! On n’arrête pas le progrès ; maintenant, voilà qu’ils parlent ! «
Miss Comédie
Et je n’en ai pas fini avec Proust ! A la Recherche du Temps Perdu ne se lit pas entre deux stations de métro, il y a sept volumes et je n’en ai lu encore que la moitié. Mais la fascination qui se dégage de ce chef-d’œuvre ne se partage pas dans un blog. Une seule chose que je vous conseille si l’envie vous prend de plonger, c’est de laisser tomber la lecture pour découvrir la magie de l’Audible.
PROUST ET PICASSO , LA RENCONTRE
Marcel PROUST avait déjà quitté ce monde lorsque GUERNICA fit une entrée fracassante dans l’univers pictural.
Mais ce jeune homme fragile, avide de toutes les formes d’art , avait pu suivre avec intérêt la prodigieuse ascension du peintre catalan.
Pendant que Picasso imposait peu à peu dans ses tableaux une autre vision du monde avec le cubisme, Proust avait enfin conclu son pacte avec la littérature et son premier roman-fleuve « A la Recherche du temps perdu » l’avait rendu célèbre.
Ils étaient alors, chacun dans sa galaxie, les étoiles montantes d’un Paris en pleine euphorie artistique.
La Rencontre eut lieu par hasard à l’occasion de la création du Ballet-Opéra « Renard » de Stravinsky par les Ballets Russes, le 18 mai 1922 .
Ce soir-là, un couple de mécènes anglais avait organisé un souper après le spectacle au Majestic, le restaurant à la mode de l’avenue Kleber, pour une quarantaine d’invités triés sur le volet.
A leur table, trônait Stravinsky naturellement, devenu incontournable depuis son scandaleux SACRE DU PRINTEMPS, près de lui , Diaghilev l’ « entraîneur » des Ballets Russes, bien que leur rivalité les rendit souvent féroces l’un envers l’autre.
Venaient ensuite les quatre solistes de RENARD
Dont Nijinska, soeur de Nijinsky, qui avait réalisé la chorégraphie. On dit que Diaghilev l’avait prise en grippe car elle lui rappelait son ex-amant Nijinsky avec qui il était brouillé.
A la même table se trouvait la princesse Edmond de Polignac, commanditaire du ballet , lesbienne discrète dont l’époux, lui, aimait les garçons, et qui avait dû charmer Ravel qui lui dédia sa célèbre « Pavane pour une infante défunte »...
Les heures passaient, et trois places restaient vides tandis que les autres tables se remplissaient du Tout Paris prêt à festoyer.
C’était une soirée comme les autres en ces années folles où l’on ne pensait qu’à retrouver les plaisirs du spectacle et de la table.
Vint l’heure du café, et l’on vit entrer, chancelant et mal vêtu, visiblement ivre, leur ami James Joyce. A peine remis de leur embarras, les hôtes anglais accueillent un petit homme trapu, bronzé et l’air farouche qui salue l’assemblée, le bras levé, et s’assied à sa place sans un mot.
C’est vers deux heures du matin, alors que la plupart des invités avaient déjà déserté la table, que se présenta le dernier convive, un homme d’aspect juvénile, le visage pâle comme un mort, frêle et élégant dans sa redingote cintrée, ses éternels gants en chevreau à la main.
Marcel Proust s’avance en hésitant, il salue poliment avant de s’asseoir à la place restée vide à son nom, entre Joyce et Picasso.
Il repousse la carafe de liqueur que lui tend le serveur et retient son souffle. Il vient de reconnaître James Joyce, le poète qu’il admire depuis son adolescence, dont il connait l’oeuvre par coeur, et son regard s’emplit de stupéfaction.
Les deux hommes, qui ont chacun une profonde estime l’un pour l’autre, qui ne pouvaient qu’espérer se rencontrer un jour, ne savent pas quoi se dire. Ils échangent quelques mots balbutiés, des propos ineptes sur leur santé défaillante, et ce fut tout. Désespéré, honteux, Joyce se leva et disparut dans la nuit.
Restés seuls, Proust et Picasso ont-ils été plus bavards ? On ne le saura jamais car il était trop tard.
Ils se sont levés, ont échangé un regard
Le temps s’est arrêté sur cette image qui a gardé son secret.
Pourquoi Proust est-il arrivé si tard ? Lui qui se couchait toujours de bonne heure ? Et pourquoi Picasso qui s’ennuyait ferme dans cette soirée, ne s’est-il pas enfui avant la fin ?
Ce qui est sûr, c’est qu’après cette rencontre ratée, Proust et Picasso ne devaient jamais se revoir. Proust, qui avait souffert toute sa vie de ses bronches fragiles, allait disparaître en Novembre de la même année, à 51 ans.
Miss Comédie
PICASSO ET LA GUERRE
« La peinture n'est pas faite pour décorer les appartements, c'est un instrument de guerre offensif et défensif contre l'ennemi. » / Picasso
Le 26 avril 1937, sur le commandement du gouvernement nationaliste espagnol, le village de Guernica fut la cible d’un bombardement par les troupes nazis, semant la désolation et la mort, faisant réagir le monde secoué par la folie de la guerre.
C’est en apprenant cette nouvelle que Picasso, qui vivait alors à Paris et cherchait un sujet pour l’exposition Universelle de 1937, donna libre cours à sa révolte et commença à travailler à ce qui allait être le tableau le plus convaincant contre la Guerre, toutes les guerres.
Ce conquérant au sang chaud qui passait pour un « prédateur » auprès des femmes, amateur de corrida et de sensations fortes : avait donc la violence en horreur ?
En tout cas, cet attentat au coeur de l’Espagne avait ouvert les vannes de son inspiration.
" La guerre d'Espagne est la bataille de la réaction contre le peuple, contre la liberté. Toute ma vie d'artiste n'a été qu'une lutte continuelle contre la réaction et la mort de l'art. […] Dans le panneau auquel je travaille et que j'appellerai Guernica et dans toutes mes œuvres récentes, j'exprime clairement mon horreur de la caste militaire qui a fait sombrer l'Espagne dans un océan de douleur et de mort" / Picasso mai 1937
C’est au 7 de la rue des Grands-Augustins que Picasso entreprit le triptyque qui composent cette toile monumentale.
Avec lui, sa compagne d’alors, la belle Dora Maar qui est chargée de photographier chaque étape du travail pour l’aider à mesurer la profondeur du Noir et Blanc formant la tonalité de l’oeuvre.
Il réalise 45 études préliminaires qu’il a conservées, numérotées et datées et qui accompagnent le tableau au Musée Reina Sofia à Madrid .
On n’ose imaginer ce tête-à-tête, un Picasso au bord de l’hystérie vindicative, alternant la précision millimétrique et le délire sexuel, et la photographe-modèle prête à tout, fascinée par l’oeuvre naissant sous ses yeux. Comprenait-elle vraiment le sens du message, dans ce désordre à la fois cubiste et surréaliste, qui se voulait représenter l’impensable ?
Pour ma part, je reste perplexe, cette forme d’art étant décidément trop éloignée de la réalité pour m’émouvoir.
Il n’en fut pas de même pour le reste du monde, puisque GUERNICA fit le tour des musées avant de s’installer au MOMA à New-York durant toute la période de la guerre ; avant que Picasso ne reconnaisse l’Espagne digne de le recevoir
Tout le monde connait l’anecdote de l’ambassadeur Nazi, Otto ABETZ rendant visite à Picasso à Paris alors que GUERNICA était encore au MOMA, et qui, devant une photo de la toile trônant dans l’atelier, demanda à Picasso : « C’est vous qui avez fait ça ? »
La réponse arriva comme un boomerang :
« Non. C’est vous. »
Admirable répartie que l’autre aurait pu voir venir...
On dit que la composition de cette fresque symbolisant l’ignominie aurait été inspirée à Picasso par le tableau de Nicolas Poussin « Le massacre de la Saint-Barthélémy».
Ah, les exemples ne manquent pas dans l’histoire de l’humanité, de ces poussées de haines vertigineuses des hommes envers leurs
semblables.
Finalement, à force d’en faire des oeuvres d’art, les peintres ne donnent-ils pas à la guerre ses titres de noblesse ? Vaste débat !
Miss Comédie
PS - Avez-vous remarqué comme moi, que de plus en plus les gens disent « au final » au lieu de «finalement » C’est exactement la même chose en plus vulgaire. Ca m’énerve...
LA VOIX DE MARCEL PROUST
Qui peut se vanter d’avoir lu Marcel Proust ?
Autant que son visage fermé son oeuvre semble inaccessible .
On ne parle que de Ses phrases si longues
qu’à la fin on ne se souvient pas du début... C’est vrai, c’est vrai... se lancer dans La Recherche du Temps Perdu , c’est avoir du temps à perdre.
Pour ma part, l’envie ne m’en est jamais venue, j’étais juste curieuse de savoir pourquoi sa madeleine était devenue impérissable .
Jusqu’au jour où j’ai reçu la grâce, comme saint Paul revenu de tout, lassée d’une littérature vouée aux victimes du monde entier j’ai suivi sans conviction le conseil d’une amie et j’ai écouté Marcel Proust.
Ce fut une révélation. Un vrai choc. Je ne pouvais plus le lâcher. J’étais ensorcelée.
La voix de André Dussolier distillait les moindres tonalités de cette symphonie verbale qui raconte les quatre saisons d’une vie.
Les mots deviennent des soupirs, des sourires, des larmes refoulées, les virgules retiennent leur souffle, les accents circonflexes dépassent les bornes de l’émotion, la voix humaine a tout ce qu’il faut pour communiquer ce que l’oeil ne perçoit pas.
Marcel Proust n’est pas seulement un écrivain, c’est un auteur dramatique, un acteur inspiré par son époque , un humoriste qui change de registre avec chaque étape de sa vie.
Les dialogues, dans les dîners mondains de la duchesse de Guermantes, sont dignes d’une pièce de Feydeau , où chacun a sa part de ridicule.
Pour un comédien, lire Proust est un exercice de haute voltige, il faut du métier et du talent ; beaucoup de talent .
Pour rendre présent, de façon hallucinante, exactement comme s’il était sur scène, le narrateur Marcel Proust .
... Et quand c’est une femme qui parle, précieuse ridicule ou servante pas maline, on y croit !
Le talent vous dis je le talent !
Celui de Dussolier ajouté à celui de Proust fait naître une nouvelle façon d’entrer au plus profond d’une oeuvre et de saisir l’âme de l’auteur.
Justement, vous allez me dire : « Et Proust, dans tout cela ? »
Mais voyons , tout a été dit sur Marcel Proust, et je ne vais pas me lancer dans un éloge qui dépasse mes capacités d’analyse...
L’essentiel était d’ouvrir la porte à tous ceux qui ne connaissait Marcel Proust que par ouïe-dire...
Miss Comédie
UN CERTAIN MODIANO
Inlassablement, il marche dans les rues de Paris, égrenant ses souvenirs à la recherche du temps perdu.
Inlassablement comme Marcel Proust, il raconte ce qu’il croit avoir vécu, et sa mémoire est un gouffre vertigineux dans lequel il cherche à retrouver des repères.
Et pour les fixer à jamais, il les relate, roman après roman, comme les cailloux que l’on sème pour retrouver son chemin.
Lire Modiano, c’est tenter de démêler le vrai du faux parmi tous les indices accumulés soigneusement, détails insignifiants qui apparaissent comme des preuves et que l’on retrouve de livre en livre.
Ces personnages réels qui côtoient des fantômes, ces numéros de téléphone qui sonnent dans le vide, ces quartiers de Paris qui deviennent les lieux de rencontres hasardeuses, toutes ces amours fugitives qui ne portent jamais le même prénom et qui l’accompagnent dans sa fuite éperdue.
Les gens qui ont les pieds sur terre, les cartésiens, disent que Modiano écrit toujours le même livre et que rabâcher ses souvenirs n’a aucun intérêt.
Les autres, les rêveurs, les âmes sensibles , se plongent avec délices dans cet univers confus où la tragédie de la vie s’éparpille en réminiscences plus ou moins probable.
C’est là où l’imaginaire ajoute sa part de drame ou de volupté.
Je suppose que si les livres de Modiano cessaient de se vendre, Gallimard lui conseillerait amicalement de changer de registre...
Mais avec son prix Nobel ( l’Art de la Mémoire ) , son Goncourt ( Rue des Boutiques Obscures ) ainsi que ses multiples récompenses il peut continuer à soigner son amnésie sans déranger personne et ses romans continueront à s’arracher en librairie.
Marcel PROUST, lui, n’a qu’un seul best-seller à son actif, même s’il compte sept volumes sous le même titre. Mais quel titre ! A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU est notre credo à tous, comme AUTANT EN EMPORTE LE VENT, le Requiem du temps passé à jamais disparu , titre magnifique qui résume toute l’oeuvre de Marcel Proust.
Pourquoi le rapprocher de Patrick Modiano ?
Pour moi, leur point commun ne concerne pas seulement le récit très minutieux de leur jeunesse envolée, c’est surtout l’obsession du Temps qui passe et qui transforme dans notre mémoire les faits les plus anodins en fantasmes récurrents.
Mais la comparaison s’arrête là.
Car l’écriture de MODIANO possède l’art de suggérer l’infinie profondeur de la pensée à travers un style d’une ingénuité enfantine.
Dans ses phrases courtes, presque murmurées, se lisent tous degrés de la tristesse, toute l’étendue de sa solitude.
Chacun de ses livres est un carnet intime où il s’amuse à s’inventer une histoire, comme un scénario dont il reste le personnage principal entouré de figurants insolites, mais nous ne sommes pas dupes, c’est toujours lui le héros, il ne change même pas son nom et nous suivons ses aventures comme celles d’un ami proche.
Modiano, nous savons tout de lui. Nous connaissons son enfance solitaire privée d’amour, de lycée en collèges, loin de cet appartement du quai Conti où il est indésirable, dans ce Paris encore figé dans l’ambiance sinistre de l’Occupation.
Il était beau à fendre l’âme, cet enfant qui ne demandait rien à personne, et qui avait en lui les germes d’une revanche éclatante.
1968, il a 23 ans et publie LA PLACE DE L’ETOILE, son premier roman. Je me souviens de l’avoir lu à cette époque, sans vraiment comprendre ce qu’il contenait d’ironie amère dans ce récit où la fiction se mêle au vécu avec une violence juvénile.
Le roman a un succès fou . Alors MODIANO comprend qu’il est désormais libre de laisser parler sa mémoire,
qu’il n’y a rien qui soit plus important à écrire.
Livre après livre, il va nous rendre insatiables de ses souvenirs dormants que l’on connait trop bien, ces moments illuminés qui se sont évanouis à jamais et que l’on peut revivre à l’infini.
Nous sommes ses compagnons de route dans ce voyage sans fin.
Le temps passe vite, trop vite. Où en êtes-vous, Patrick Modiano ?
Miss Comédie
Ne cours pas après le bonheur, il est derrière toi.
Où allons-nous ? Où sommes-nous ? Vers quoi la Transition va-t-elle nous faire transiter ?
Personne ne sait, en dehors des scientifiques dans leur bulle. On en a peur, comme les premiers hommes avaient peur que le ciel leur tombe sur la tête. Le climat de la planète n’est pas normal, c’est vrai. Il va falloir s’adapter...
Transition oblige, je change l’apparence de mon blog.
Mais pour le fond, l’âme du contenu, la marque de fabrique de Miss Comédie, je me fous de la transition, je reste fidèle aux Inoubliables, ces héros de légende qui vivent à jamais dans notre imaginaire.
J’en vois deux qui ont régné sur le cinéma français à peu près en même temps, mais qui n’ont rien en commun si ce n’est le chiffre record de leurs entrées et le nombre de leurs récompenses, signes de leur popularité égale à travers le monde.
Ils ont travaillé avec les plus grands noms du cinéma, mais jamais ensemble. Pourtant, on peut les imaginer lors d’une rencontre incognito, un hasard ?
Un soir d’été à la Closerie des Lilas,
l’air est doux et les consommateurs se sont plutôt installés à la terrasse, l’intérieur de la salle est vide, à l’exception de la banquette du fond occupée par un homme seul. Son visage porte les marques d’une beauté qui a dû faire des ravages mais son regard est d’une tristesse infinie. Devant lui, un verre d’eau gazeuse à peine entamé.
Perdu dans ses pensées, il ne voit pas arriver un homme corpulent, d’aspect inquiétant, qui fait le tour de la salle du regard et finit par se laisser tomber lourdement sur la chaise qui fait face à l’homme seul.
« Salut monsieur Klein, murmure-t-il en regardant ailleurs.
L’homme seul le considère, sans expression.
« Tu me reconnais ? demande l’homme corpulent.
« Vous êtes reconnaissable entre mille. Mais je souhaite être seul, ce soir.
L’homme corpulent soupire.
« Moi aussi mais avec toi c’est comme si j’étais seul.
« On se tutoie ? Je suis Alain Delon.
« Aah ! Enchanté, je suis Depardieu, ça te parle ?
« Vous êtes un grand comédien.
« Et toi, un grand acteur.
« J’apprécie la différence. Vous buvez quelque chose ?
« Note que moi, je peux être les deux à la fois, toi non.
« Parce que je préfère vivre mes rôles que les jouer.
« Et le résultat est le même, duconneau ! Pourquoi tu te la joues Actor Studio avec moi ? En fait, c’est dans la vie que tu joues la comédie, j’ai compris !
Il se lève et pointant du doigt vers Delon :
« Mais je t’aime bien, tu sais, tu m’as tellement souvent fait pleurer à l’écran... Tu as un vrai talent, pas moi, moi c’est du bluff.
Il se rassied soudain :
Dis donc, pour toi, Noiret, c’était un acteur ou un comédien ?
Delon hausse un sourcil, surpris :
« Pourquoi vous me demandez ça ?
« Parce que tu es assis exactement à sa place dans la scène de la rencontre dans LE VIEUX FUSIL, un chef-d’oeuvre et son meilleur rôle !
Delon sourit :
« Et pourquoi croyez-vous que je sois venu là, ce soir ? Noiret est un immense acteur, mais dans cette scène je revois surtout ma chère Romy Schneider, une immense comédienne !
Depardieu reste pensif un instant, puis se frappe le font :
« Ben voilà, c’est ça l’idée ! Toi et moi ensemble dans un film, c’est le couple idéal !
Ils éclatent de rire tous les deux et Delon se lève pour accompagner Depardieu vers la sortie, bras dessus, bras dessous. »
Impossible. D ‘accord on est dans l’imaginaire, mais là, on n’est pas crédible ! Aucun réalisateur ne prendrait ce risque aujourd’hui, à par peut-être Spielberg pour une Rencontre du 4ème type.
Il faut trouver une autre chute pour mon dialogue... à moins que.....
Miss Comédie
PS : Vous avez remarqué que personne ne dit plus « Bonne journée », aujourd’hui, maintenant il faut dire « Belle journée », c’est plus chic.
FINALE
Pour finir l’année en fanfare, un math héroïque....
Le finale de la symphonie Héroïque de Beethoven était fait pour accompagner l’issue spectaculaire d’un match légendaire.
Aucun spectacle vivant ne peut être comparé à ce que nous avons vu ce dimanche 18 décembre pour la Coupe du Monde 2022 au Qatar.
France-Argentine, un combat de chefs, un enjeu historique, cette coupe en or massif posée comme un défi au milieu de la pelouse.
Deux armées de force égale ? Pas vraiment.
L’immense clameur qui envahit le stade bien avant le coup d’envoi venait des supporters argentins, 48000 aficionados survoltés surs de leur victoire.
Ils n’étaient pas seuls, le monde entier n’avait d’yeux que pour MESSI, le fils spirituel du divin MARADONA disparu il y a deux ans.
MESSI, dépositaire de tous les espoirs d’un peuple voué au foot.
En face... la brillante équipe des Bleus paralysée par un mystérieux virus, traumatisée par l’agressive assurance de leurs rivaux, boudée par des supporters muets dans des tribunes presque vides. Les deux premiers buts adverses arrivent très vite et ce sont comme les banderillas sur la bête blessée attendant le coup mortel.
On peut comparer la tension qui est la nôtre devant ce spectacle à celle que l’on éprouve devant une tragédie de Shakespeare, à ceci près qu’ici, nous ne connaissons pas la fin.
Les minutes s’étirent dans le même tragique deux à zéro. Les Argentins exultent, se congratulent, ils ont la Coupe, ils se passent le ballon sans le voir, le ballon s’égare, il a des ailes, et c’est la 80é minute de jeu, et tout bascule ; KYLIAN MBAPPE vient de marquer.
Les hurlements des commentateurs ne faiblissent pas, ils s’éternisent, car MBAPPE vient d’égaliser.
Les deux buts marqués par MBAPPE, à une minute d’intervalle, dans un sursaut de révolte contre le mauvais sort, geste de la dernière chance que l’on espérait plus, ont galvanisé son équipe et ébranlé les pronostics.
Après l’égalisation, les deux camps jouaient à armes égales et le suspense devenait crucial.
Il y eut un troisième but marqué par MBAPPE, que MESSI s’empressa d’égaliser jusqu’à ce dernier tir au but malchanceux qui ne fit que mettre un terme à l’héroïque retour des Bleus, tout en donnant à l’Argentine la place qu’elle tant attendue derrière son dieu en fin de carrière.
Ne pas croire que je suis fan de foot ! En fait, je n’y connais rien. Mais après ce moment d’exaltation intense, j’ai pensé que cela pourrait mettre un point final(e) à une année qui manqua cruellement de panache...
La victoire des Argentins ? Une victoire à l’arraché, de justesse, dont il n’ya pas lieu d’être fiers, victoire salie par leur attitude minable envers leur glorieux rival, MBAPPE Dès leur retour à Buenos Aires.
Miss Comédie, qui vous souhaite de belles fêtes de fin d’année et vous donne rendez-vous en 2023.
LA GUERRE DES MONDES
Ne fuis pas le danger, il est devant toi.
Ce lundi 30 octobre 1938, la nuit tombe sur New-York, le ciel est clair, sans nuages. La radio diffuse le concerto N°1 de Tchaikovsky, qui est l’indicatif sonore de la Mercury Theater Company. Le speaker annonce le début de l’émission intitulée LA GUERRE DES MONDES, et le réalisateur prend la parole. C’est Orson Welles qui s’adresse aux auditeurs d’une voix lugubre :
« Mesdames, Messieurs, depuis l’aube de notre ère, nous sommes observés sans le savoir par des êtres d’une intelligence supérieure qui projettent l’invasion de notre planète. Des signes avant-coureurs nous font penser que le moment est venu pour leur arrivée sur terre... »
Il est interrompu par un message météo annonçant des perturbations imprévues dans le New JERSEY, puis la musique reprend, interrompue à nouveau par un autre speaker qui passe la parole à un scientifique situé à Princeton . C’est alors la voix déguisée d’Orson Welles qui décrit un objet lumineux s’abattant sur une voiture, suivi d’un brouhaha de klaxons et de voix humaines affolées . Les interventions se succèdent alors, de plus en plus alarmantes et provenant des quatre coins des Etats-Unis.
On entend maintenant des sirènes d’alarmes, des klaxons de police et la voix du présentateur se fait aigüe pour décrire les rues qui commencent à se remplir de gens paniqués. L’ émission est devenue cahotique, entrecoupée de bribes de morceaux de musique, de voix lointaines décrivant une lueur suspecte que le speaker situe à l’autre bout de l’Amérique.
La musique reprend, puis la voix d’un scientifique annonce avoir identifié l’atterrisage d’engins spaciaux en provenance de la galaxie, suit alors une clameur confuse venant des rues avoisinantes . L’émission s’achève sur la voix du premier speaker qui déclare la ligne interrompue Il semble que tout le monde ait oublié qu’il s’agissait d’une émission radio très bien jouée....
Finalement,le canular n’en était pas un et quand la presse s’est emparée de l’affaire, elle a exagérée la portée de l’angoisse générale pour en rendre responsable la Radio et son influence néfaste sur la population.
On ne peut pas dire qu’Orson Welles, l’instigateur de cette pièce radiophonique, eût été totalement étonné de la réaction du public. Le sujet est délibérément anxyogène puisqu’il s’agit d’une invasion des Martiens, chose que l’on redoute depuis la nuit des temps... Mais enfin, la Presse en a rajouté une louche puisqu’il fut reconnu par la chaîne CBS que l’émission, concurrencée par une une chaîne populaire, n’avait reçu qu’une faible audience.
Comme quoi la Presse, omniprésente, a toujours le dernier mot.
Ce qu’il n’avait pas prévu non plus, Orson Welles, jeune comédien de 23 ans, surdoué et né sous une bonne étoile, c’est la subite montée de sa popularité au cours des quatre années qui suivirent LA GUERRE DES MONDES, avec pour bouquet final la sortie de son premier long métrage Citizen Kane mais c’est une autre histoire.
L’histoire d’aujourd’hui, cette « guerre des mondes « dont le danger vient du ciel, nous parle de la Peur, maladie contagieuse qui a le pouvoir de rassembler mais aussi d’asservir.
Mes Martiens sont peut-être déjà parmi nous, invisibles.
Miss Comédie
LES MOTS DE LA TRANSITION
Oui cette transition que nous subissons, qu’elle soit énergétique, climatique, ou fantomatique nous pousse (nous force ) à convertir certains mots familiers en incitations formelles à la vertu .C’est la décadence à l’envers...
RESPONSABLE
Ce mot est menaçant.
Il est partout. On le lit, on l’entend, claquant comme un coup de fouet .
Aujourd’hui il devient un critère imposé d’un produit ou d’une marque ce qui le rend acceptable , vous pouvez y aller.
Etre responsable, ça nous concerne tous. Nous devons tous être responsables sans nous poser de questions.
Molière en aurait fait une farce et moi j’ai envie d’en faire un morceau choisi à la Raymond Devos :
C’est un employeur qui reçoit un candidat .
L’employeur
Je cherche quelqu’un de responsable.
Le candidat
Ah, vous avez eu un vol ?
L’employeur
Non, pourquoi ? c’est juste mon chef de chantier qui est décédé.
Le candidat
Je suis désolé, mais je ne suis pas responsable.
L’employeur
Non, mais je cherche un remplaçant engagé et responsable, vous voyez ce que je veux dire.
Le candidat se gratte la tête
Pas vraiment. Parce que moi, si je suis ici, c’est parce que je ne suis pas engagé, sinon, j’aurais pas besoin de vous.
L’employeur
Mais vous êtes responsable ?
Le candidat
Ca dépend de quoi, si c’est pour être chef de chantier, je ne fais pas l’affaire.
L’employeur
Pourquoi ?
Le candidat
Moi j’étais responsable du service neuro-psychiatrie à la prison de Fresnes.
L’employeur
OK j’ai compris. Vous êtes bon pour Pole Emploi. Merci, vous pouvez disposer.
Trouvez en d’autres, c’est amusant !
Miss Comédie
NOUVELLE VAGUE
Septembre 2022 : une nouvelle vague de disparitions nous prive de quelques têtes d’affiche, dont la tête d’un mouvement qui a chamboulé la manière de faire du cinéma.
A bout de souffle, Jean-Luc Godard gravit les derniers mètres qui le séparaient de son dernier domicile fixe. Ebloui par une soudaine lumière, il fut saisi d’étonnement.
Devant lui s’étendait à l’infini un jardin extraordinaire qu’il lui sembla reconnaître… Le Luco ?
En effet, sur sa gauche se trouvait l’enclos de la fontaine Médicis et son couple enlacé.
Mais la surface du jardin était démultipliée, les allées se perdaient jusqu’à l’horizon, bordées par une végétation exubérante et des arbres millénaires.
Godard, surpris de la soudaine agilité de ses jambes, fit quelques pas vers le bassin où des enfants faisaient jouer leurs bateaux à voile, comme toujours depuis la création du Jardin.
Plus loin, il remarqua un très vieil homme assis sur un banc le long d’un tas de sable. L’homme souriait sans raison apparente, l’air heureux. Godard le reconnu nullement aussitôt, c’était Sempé. Il s’approcha, ravi de la rencontre.
« Bonjour cher ami ! Si je m’attendais à vous voir déjà ici !
Sempé :
« Je viens tous les jours surveiller le petit Nicolas qui fait des pâtés de sable, voyez-vous !
Godard remarqua l’enfant absorbé dans son travail.
« Et vos couvertures ?
« Ils ne m’ont pas remplacé. Je m’en fous.
En effet, Sempé paraissait totalement euphorique mais tellement indifférent que Godard s’éloigna.
Il se sentait léger comme l’air et se félicita d’avoir bravé l’interdit qui bannissait l’euthanasie. « J’aurais dû faire ça plus tôt quel con. « Mais il se sentait démuni sans sa caméra. Cela faisait un bail qu’il l’avait mise au rancart devant la pauvreté de son inspiration, mais là… il y avait de quoi refaire surface…
Soudain, la lumière fut voilée par le passage d’objets non identifiés qu’il crut être de grands oiseaux blancs. Mais leur chant était un chœur de voix humaines et il s’aperçut que c’était des anges aux ailes déployées glorifiant l’ascension de la Reine Elizabeth.
Au centre dette envolée séraphique, un trône aérien portant la souveraine était entraîné vers le ciel par deux archanges coiffés de casques d’or aux armes de la couronne.
« Donc, elle ne va pas rester ici… » pensa Godard, « elle a droit au Paradis, elle, mais elle va se retrouver bien seule, la pauvre ! »
Il continua sa découverte de ce qui n’était pas le Paradis mais qui lui convenait très bien.
Il y avait un monde fou, dans ce jardin. Il chercha à reconnaître des amis, des acteurs célèbres. Justement, dans une encoignure végétale un peu à l’écart, il vit une jeune femme à moitié nue, assise dans un fauteuil d’osier, filmée par un vieil homme agenouillé qui devait être Just Jackin. Jean-Luc Godard avait un profond mépris pour ce mec qui n’avait pas de prénom et un tout petit nom ! ( il pouffa en lui-même) Pauvre Emmanuelle… bof. Anna était plus classe … Justement… où était Anna Karina ? Il eut soudain un regret. Tout ce temps perdu. La femme de ma vie, c’était elle et je l’ai prise pour une passante de longue durée. Et où est-elle, maintenant ? »
Abattu, il se laissa tomber sur un banc, la larme à l’oeil. Son chagrin était assez incongru en ce lieu, pour attirer l’attention d’un passant qui le reconnut aussitôt :
« Godard ! Vous pleurez sur vos fautes passées ?
Godard se redressa, furieux :
« Allez vous faire foutre ! ... Ah ! c’est vous, Monsieur Klein ?... Vous êtes rancunier, à ce que je vois...
« Pas du tout ! Ici, c’est le Jardin rédempteur, une réplique du Jardin du Luxembourg où j’ai passé la moitié de ma vie à photographier tout ce qui bouge !...
Sur ce, il braqua l’objectif de son Nikon sur Godard qui hurla :
« Ah non ! Pas de photo ! Vous pouvez pas faire une pause de temps en temps ??
C’est une habitude... Ici – enfin au Luco – passaient les filles les plus canons de Paris. Je les ai toutes shootées !
« Vous les avez toutes sautées ? Chapeau !
« Non, shootées, ! Et vous, vous avez consommé pas mal…
« de pellicule, oui, pas mal !
Ils éclatent de rire. Klein propose alors de boire un verre au bar.
« Au bar ? Quel bar ? Il y a un bar ici ?
« Venez ! Le bar était situé un peu en retrait dans un petit square au milieu de plantations sauvages . Il n’y avait qu’une table, en fer forgé, et deux chaises, les deux tabourets du bar étaient vides. Pas de barman, il fallait probablement se servir soi-même.
William Klein fit la moue.
« Très peu pour moi... Je me tire, et vous ?
Godard hésitait. Quelque chose le retenait là.
« Non, je vais m’asseoir un moment.
Le silence régnait dans ce coin désert. Il détendit ses jambes, regarda autour de lui, pris d’un pressentiment.
C’est là qu’il vit François Truffaut, assis en retrait sous les ombrages, les yeux fixés sur lui.
Il se leva d’un bond et le dialogue s’établit comme s’ils ne s’étaient jamais quittés.
« Alors, tu fais bande à part ?
« J’attendais mon meilleur ami. Tu en as mis, un temps !
« Moi, ton meilleur ami ? c’est ridicule !
« On a quand même fait un sacré tandem, à l’époque !
Pris d’un doute, ils se figent.
« Hé, attend, fait Godard, on serait pas en pleine filmo de Patrice Leconte, là ?
Truffaut s’agite, il n’a pas le sens de l’humour.
« OK, mais c’est du langage courant, non ? Bon, donc tu n’es pas mon meilleur ami ?
« Disons que j’ai été ton meilleur ennemi...
« On a fait les 400 coups ensemble !
« Non, j’étais pas dans le coup, moi !
« Ah oui, c’est vrai... Mais moi, je m’emmerde ici, tu veux pas qu’on fasse une nouvelle vague ensemble?
« Non, moi je veux retrouver Anna Karina et vivre ma vie avec elle, je sais qu’elle est ici, elle m’attend !
François Truffaut se marre :
« Trop tard, mon vieux, elle vient d’épouser Pierrot le fou ! »
Miss Comédie
ECRIRE ...
Devant la page blanche je m’interroge.
On me dit d’écrire « léger ».
Ecrire léger pour une rentrée sur les chapeaux de roues ?
Il faudrait remonter le temps.
Pourquoi certaines années pèsent-elles plus lourd que d’autres ?
Ce fléau qu’est la pandémie nous a rappelé que nous sommes tous égaux devant l’Imprévisible.
Contre l’Imprévisible on ne peut rien.
Dix ans, que j’écris des choses légères.
C’était quand les choses paraissaient à peu près prévisibles, même le temps qu’il ferait le lendemain.
Ca roulait, bon an mal an.
Et puis soudain, tout a changé comme un ciel d’été assombri lentement par un vent porteur d’orages dévastateurs.
Je sais, tout le monde a remarqué ça mais il faut suivre sa route. Eviter de se poser des questions car l’homme a toujours subi l’insensible et inévitable mutation de son univers familier.
Aujourd’hui, avant de me mettre à écrire léger, je me trouve face d’un monde inconnu.
Pourquoi le mot GUERRE a-t-il surgi dans les flashes info ?
Pourquoi la violence a-t-elle la primeur sur les réseaux sociaux ?
Pourquoi les figures emblématiques de l’adoration des foules ont-elles peu à peu disparu ?
Pourquoi ce déclin des grandes villes, soumises à l’invasion des deux roues et des brigades de la coke ?
Pourquoi les cinéphiles désertent-ils les salles de cinéma ?
Pourquoi les chansons d’amour n’ont plus droit au Top 50 ?
Pourquoi les femmes sont-elles devenues les ennemies des hommes ?
Nous sommes le 9 Septembre et c’est voilà qu’arrive ma dernière question :
Pourquoi Sa Majesté la reine Elizabeth a-t-elle choisi ce moment de grand désarroi pour quitter ce monde absurde ?
Elle était la souveraine mystérieuse dont le charisme imposait le respect aux anarchistes de tous bords.
Elle était le symbole d’un monde révolu qui est en train de perdre la boule.
Bientôt, c’est sûr, je trouverai ça drôle….. ou du moins, normal. Je me mettrai alors à écrire léger,
Voire comique, histoire de justifier ma signature...
Miss Comédie
L E PREMIER HOMME
Albert Camus
« A toi, qui ne liras jamais ce livre «
Il était parti, ce matin du 4 janvier 1960, après avoir passé le jour de l’An avec sa famille et ses amis dans sa maison de Lourmarin.
Francine, sa femme, avait pris le train pour Paris avec les jumeaux, Catherine et Jean. Lui, avait voulu rentrer en voiture avec Michel Gallimard, sa femme et sa fille Anne, dans la Facel Vega de l’éditeur.
Il était détendu, heureux. Dans sa mallette, il emportait le manuscrit du Premier Homme, qu’il allait re-travailler pour en faire le premier chapitre de sa trilogie.
Il avait 46 ans, l’âge de toutes les passions. Il venait de découvrir celle du théâtre, qui le lança dans l’adaptation et la mise en scène de la pièce monumentale de Dostoievski, LES POSSEDES ; Une folie qui l’épuisa et lui fit prendre du recul dans ce qu’il appela « le maquis théâtral ».
Plus durable fut sa passion pour Maria Casarès, « l’Unique « , une déesse de la scène pétrie de trac et de talent avec qui il entretint une correspondance passionnée, lui qui aimait « toutes les femmes « mais fut éternellement fidèle à son épouse, Francine.
Tout cela ne figure pas dans Le Premier Homme naturellement. C’est juste un signe de reconnaissance, un flash-back miniature sur un parcours fabuleux.
La mallette contenant le manuscrit fut retrouvée à ses pieds, dans ce qu’il restait de la Facel Vega qui mit fin à sa vie.
Conservé religieusement par sa fille Catherine, le précieux texte ne fut publié qu’en 1994. C’est un monument dédié au père inconnu et au souvenir d’une enfance lointaine dans le temps et dans l’espace, mais si incroyablement vivante dans sa mémoire !
C’est bien lui , Albert Camus, ce gamin de la rue de Lyon à Bellecour, le quartier pauvre d’Alger.
Le décor et les personnages sont ceux d’un roman de Zola transplanté au Maghreb, avec une famille hybride peu encline à la bienveillance, et le recours quotidien d’un instituteur doté de clairvoyance qui fut un éclaireur sans relâche sur la route qui mène au sommet.
Ce serait une histoire très banale, en somme, si l’auteur n’était pas celui que l’on sait.
Car le fil conducteur de cette histoire n’est autre que l’éternelle et impuissante recherche de ce père qu’il n’a pas connu, sur les traces de sa courte vie avant son engagement dans l’armée et sa fin héroïque. L’ombre de Lucien Camus plane sur Mondovi, sur la ferme qui l’employait, sur ces terres arides et ces êtres familiers, Arabes ou Espagnols qu’il côtoyait. Retour aux sources, reportage déchirant et inutile mais quel témoignage sur l’enfance d’un futur Prix Nobel !
Ce premier chapitre pose aussi l’énigme de cette trilogie inachevée : qu’allait-on apprendre sur cette moitié de vie d’un homme qui avait déjà fait tant parler de lui ?
Allait-il enfin livrer son sentiment profond sur cette guerre d’Algérie qui l’avait meurtri plus que tout autre ?
Et ce mot indéfini qui apparaît plus tard dans son œuvre, à tout propos, ABSURDE, ce mot si simple à peine teinté de mépris auquel il prête un sens mystérieusement existentiel dans sa Philosophie de l’Absurde….. allait-il nous en parler plus clairement ?
Car pour nous, l’absurde était tout entier dans cette brusque décision de revenir à Paris en voiture et non en train, absurde cette route glissante et cette fin brutale comme un caprice du destin.
Camus disait : « L’absurde ne mène pas à Dieu, mais il ne l’exclut pas. »
Comprenne qui pourra.
Mais enfin, il nous reste ce Premier Homme, ce premier chapitre magnifique et c’est déjà pas mal !
Miss Comédie
MODERATO CANTABILE de Marguerite Duras (1958)
Encore un livre oublié dont la subtile violence nous avait peut-être échappé... Une leçon d’érotisme à mots couverts.
Comment faut-il jouer la sonatine de Diabelli ?
Moderato cantabile. L’enfant sait mais refuse de répondre. Modéré et chantant. A la prof impatientée il oppose un front buté. Sa mère sourit, attendrie.
Quelques lignes limpides ouvrent le récit, des phrases lapidaires entrecoupées de silence, une scène de vie quotidienne très banale dans une ambiance « modérée et chantante », aucun signe d’une fatalité rampante… même après que l’on eût entendu le Cri.
La suite est beaucoup moins limpide.
Marguerite Duras y déploie déjà superbement son penchant pour la tragédie et surtout pour l’alcool.
La dame au petit garçon va entamer un long cheminement initiatique autour de ce cri, et du crime passionnel qu’elle va découvrir, dans ce café qui sera le lieu de sa rencontre avec l’Homme.
Qui est cet homme, qu’elle ne connaît pas, mais qui semble la connaître ? Que sait il, lui, sur ce crime impressionnant qui va devenir le motif obsessionnel de leurs rencontres ?
Ces rencontres vont devenir les étapes d’une liaison énigmatique qui se dévoile peu à peu, à coups de verres de vin, toujours plus avidement consommés au rythme d’un désir aussi intense que dissimulé.
La braise sous la cendre !
A la première lecture, j’avais adoré. Un charme fou se dégageait de ces questions sans réponse, de ce mystère non élucidé qui s’étire interminablement dans une rencontre sans lendemain.
Plus tard ce suspense purement littéraire m’était apparu comme un procédé et m’avait lassée.
Le dernier chapitre, lui, est un vrai morceau d’anthologie.
L'enfant n’est plus avec sa mère.
L’homme et la femme vivent un moment émotionnel très fort, presque sans parole, laissant le lecteur à bout de souffle, hanté par cette dernière question : pourquoi ce renoncement ?
A chacun sa réponse.
Et si le désir inassouvi était la meilleure et plus voluptueuse réponse à un amour impossible ?
Miss Comédie
La photo ci-dessus est tirée du film de Peter Brook sorti en 1960, MODERATO CANTABILE, avec Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo, scenario et dialogues signés Marguerite Duras.
(Pour le casting, il y avait mieux que Bebel, qui n’est pas vraiment un symbole de refoulé sexuel... à mon avis.)
RELIQUES A RELIRE
Ces livres que l’on a aimés puis oubliés et qui nous emballent cet été.
BONJOUR TRISTESSE
« Sur ce sentiment dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse.
C’est un sentiment si complet, si égoïste, que j’en ai presque honte, alors que la tristesse m’avait toujours paru honorable.
Je ne la connaissais pas, elle, mais l’ennui, le regret, plus rarement le remord.
Aujourd’hui quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, qui me sépare des autres. »
A la première lecture je n’avais pas prêté attention à la beauté de ce premier paragraphe.
Une petite merveille, inspirée peut-être par le poème d’Eluard dont l’auteur a tiré le titre.
Ah! si les 187 pages qui suivent avaient la même élégance, je n’aurais pas refermé le livre avec dédain pour revenir à mes bons vieux classiques du siècle dernier, de vrais écrivains, eux.
Des années plus tard, j’ai eu des remords et j’ai voulu voir. Après tout, le roman avait mérité le Prix des Critiques et le succès phénoménal que l’on sait.
Hélas, après la découverte de ce miraculeux premier paragraphe, le reste m’apparut aussi décevant que la première fois.
C’était une autre prose, celle d’une écolière appliquée à relater, étape par étape, une machination sournoise qui finit mal, dans une langue où la candeur se mêle au libertinage.
Les situations sont devinées d’avance, les dialogues d’un autre âge . Tout est convenu, dépassé, surfait.
On en oublie le vrai sujet du livre qui est l’inconsciente cruauté de la jeunesse et son monstrueux égoïsme . On est tenté d’interrompre la lecture, agacé, mais il faut aller jusqu’au bout, jusqu’à la dernière page, aux dernières lignes, et l’émotion surgit alors, pure et dure, sans effet de style, jaillie de l’âme même de l’auteur et on en a les larmes aux yeux.
« Seulement, quand je suis dans mon lit, à l’aube, avec le seul bruit des voitures dans Paris, la mémoire parfois me trahit. L’été revient. Et tous ces souvenirs. Anne. Anne. Je répète ce nom très bas, très longtemps dans le noir.
Quelque chose alors monte en moi, que j’appelle par son nom , les yeux fermés « bonjour tristesse ».
Ces quelques lignes magnifiques suffisent-elles à consacrer le roman comme un objet de culte impérissable ?
On ne peut plus en douter, puisque cela s’est passé ainsi. Mais le Destin a eu son mot à dire cette année-là, et les choses se sont enchaînées comme il fallait , tout simplement.
Nous sommes en 1954 ; Françoise Quoirez a dix-huit ans, elle vient de passer son bac et elle écrit en quelques semaines sur une table de café à St-Germain, le roman que l’on sait.
Est-il inspiré de faits réels vécus durant un été particulièrement tumultueux ? Peu importe.
Elle le fait lire à son amie Florence Malraux qui fréquente les milieux littéraires et le soumet à quelques éditeurs.
Julliard prend l’affaire en mains, demande une fin plus tragique et met sous presse, conscient que le côté sulfureux de cette histoire va faire frissonner les medias… Le style ? Quoi, le style ? Le début et la fin d’un texte sont les seuls critères de jugement pour le lecteur lorsque le sujet est audacieux et tellement dans l’air du temps !
Entre nous, cela n’a pas marché pour les œuvres suivantes… et si Françoise Sagan est restée célèbre, c’est grâce à l’étourdissante liberté de sa vie privée.
Bonjour tristesse reste son seul titre de gloire .
Un titre pas vraiment optimiste…
Miss Comédie
Un moment imaginaire dans la vie d’Arletty
Musée de l’Annonciade, Saint-Tropez un jour de Mai 1968
Je suis assise dans un fauteuil de cuir face à un tableau de Signac, le fauteuil est placé là pour celui qui voudrait s’abimer dans la contemplation du tableau mais moi, là, j’ai les yeux fermés sur ma douleur.
Moment imprévisible où la conscience de sa solitude s’abat sur vous comme la foudre et vous submerge.
Mes amis m’ont laissée pour arpenter l’enfilade des salles où s’alignent les toiles sublimes de quelques peintres célébrant la Provence.
J’ai souvent accompli cette visite, ce pèlerinage, devrais-je dire, et admiré ces paysages transfigurés par le regard de Vuillard, Bonnard, mon ami Marquet ou Signac bien sûr, et Van Dongen dont je fus le modèle….
Aujourd’hui je les revois avec les yeux du souvenir.
Avec la vue, j’ai perdu quelques bonheurs irremplaçables que je reconnais, tellement amère, chez les autres. Inconscients, comme je l’étais, au bord de l’ingratitude.
J’ai toujours la même gueule, bien sûr, mais ce n’est plus une gueule d’atmosphère.
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Ah, ce mot là, il me poursuit encore, il me colle à la peau, ce mot qui est le même dans toutes les langues et dont Henri Jeanson me gratifia dans le dialogue de l’Hôtel du Nord…
Vingt ans déjà. Et ça n’a plus arrêté. Quatre films avec mon cher Carné, des films-légendes, sans me vanter. Et puis… les hommes aussi, ont défilé, j’en ai vu de toutes les couleurs, quelques blonds typés teutons d’ailleurs, comme ma copine Coco Chanel, ce fut notre Occupation favorite…
Le mien, si beau, si blond, m’a suivie longtemps, il voulait m’épouser mais j’ai dit non et il est retourné en Allemagne se marier loin de moi.
Mes larmes coulent à nouveau, se souvenir aussi, ça fait mal.
Comme ce jour à l’Orangerie ou Brialy me trouva en larmes à une table, je venais d’avoir mon coup dur aux yeux et, il m’a pris la main : « Pleure pas, ma puce… Il te reste la voix ! Tu sais, la voix est un instrument magique, aussi magique que le regard, tu verras… »
Et c’était vrai, en un sens. Désormais, les voix m’accompagnent et me donnent des sensations multiples, au plus profond des âmes qui me parlent.
Mais que font-ils ?
Des minutes passent, les gens arpentent la salle, ils doivent se demander pourquoi cette femme aux yeux fermés devant ce tableau de Signac ?
Voilà que je reviens à mon idée fixe : « Je ne serai plus jamais la même. »
Mes larmes coulent dans un curieux mélange de nostalgie et d’acceptation.
Le côté inéluctable de notre destinée m’apparait en cet instant comme il le sera à l’heure de ma mort.
Cette immobilité qui se prolonge fait naître des pensées morbides et je trouve le temps long.
Le désespoir a fait place à l’impatience et j’ouvre les yeux sur le tableau de Signac. Je ne saurai jamais ce qu’il représente...
Mes amis sont revenus, ils m’entourent, les yeux pleins d’éternité.
Je me lève, retrouve mon rôle d’actrice qui est ma carapace en dehors des plateaux, pour « garder la face », comme on dit.
Mon rire les rassure, le rire, encore un instrument magique contre le désespoir.
Miss Comédie
Arletty est toujours Présidente d’Honneur de l’Association des Artistes Aveugles de France
« La musique est une révélation plus haute que toute sagesse,
que toute philosophie. » Ludwig van Beethoven.
La musique est le sésame ouvre-toi de l’Imaginaire.
Dieu seul sait dans quels lointains abîmes de volupté, de mystère ou de nostalgie nous plongent certaines harmonies que nous sommes seuls à décrypter...
Qu’est-ce que la musique, au fond ? Ce n’est pas une invention de l’homme, comme le cinéma ou la peinture, elle nous a été donnée par le Créateur, comme la lumière, au début de la nuit des temps.
A moins qu’elle ne soit née sur le mont Olympe de l’union de la muse Euterpe et du dieu Apollon.....
Ils prenaient du bon temps, là-haut, c’est sûr, et nous ont laissé quelques échos de leurs amours car ensuite, la musique n’a cessé de se ré-inventer au gré des humeurs et des rites, des modes et des instruments.
Elle est partout, autour de nous, mais seul un être humain doté de l’oreille absolue est capable de déceler la note qui se cache dans le moindre bruit. Un musicien, donc, mais tous les musiciens n’ont pas forcément l’oreille absolue, c’est un don du Ciel.
Le paradoxe, c’est que tout en étant un art immatériel et et indéfinissable la musique comporte des règles que tout musicien doit respecter pour faire entendre ce qui n’existe pas...
A vrai dire, je me suis embarquée dans un sujet bien difficile à traiter...
Difficile, peut-être, mais tellement passionnant.
Que serait la vie sans musique ?
Je ne sais pas vous, mais en ce qui me concerne, je ne peux vivre sans musique. N’importe laquelle, un concerto de Vivaldi ou une chanson de Souchon, un tango d’Astor Piazzola ou un Nocturne de Chopin, je m’envole dans le meilleur des mondes. Le décor est parfois celui qu’a imaginé l’auteur et je m’insinue dans son histoire, c’est magique.
Et puis, naturellement, il y a ces morceaux dont je ne sais rien sinon qu’ils me chavirent et dans lesquelles je me laisse emporter sur les vagues de mes rêves les plus fous.
Mais voilà, c’est inracontable, cela ne regarde que moi et mes fantômes..Chacun est seul avec la musique.
Comment expliquer que la voix de Bourvil cherchant le nom d’un petit bal perdu sur un air d’accordéon, me tire des larmes autant qu’une cantate de Bach… ?
Mystère.
Vus aurez compris que la musique n’est qu’une énigme dont chacun a la clé.
Alors à quoi bon me lancer dans l’énumération de quelques morceaux sublimes qui ont traversé les siècles et que nous connaissons tous ?
Ces parcelles d’âme de nos génies disparus n’en finissent pas d’être repris par de nouveaux interprètes qui les transfigurent avec leur propre émotion.
Et là, c’est plus fort que moi, je ne peux m’empêcher de penser à l’interprétation de la Fantaisie chromatique et Fugue en ré mineur de J.S. Bach par Alfred Brendel. Ce qui se passe là-dedans est un pur miracle, une osmose totale entre les deux musiciens, à des siècles de distance. On est dans la Beauté pure pendant dix minutes, en pleine lévitation, si j’ose dire, par la grâce d’un grand interprète.
Mais les deux plus grands interprètes de la Musique sont toujours la Mémoire et l’Imaginaire, n’est-ce pas ?
Miss Comédie
ELOGE DE LA MEMOIRE
C’était hier. Bien sûr, puisque nous sommes le lendemain...
Donc, je me souviens de cette histoire que j’ai vécue dans ma jeunesse et la sensation que j’éprouve à ce souvenir me remplit d’une exaltation qui n’était pas la mienne ce jour-là, c’est la ruse du temps qui passe, ce coup de projecteur sur les souvenirs...
Alors je me dis : cette histoire est tellement... n’ai-je pas rêvé tout cela ?
La mémoire est la grande rivale de l’imaginaire quant il nous prend l’envie de nous échapper du réel.
La mémoire nous fait revivre, l’imaginaire nous fait vivre des moments inoubliables, à nous de choisir.
Le soir de ma rencontre avec Camus, je n’arrivais pas à dormir mais ce n’était pas l’évocation de ce moment fabuleux, incrédule face à cette icône du monde littéraire et théâtral, non, c’était juste le souvenir cuisant de sa phrase : « Mais vous n’êtes pas folle ! » qu’il m’avait lancée et que j’avais reçue comme une injure.
La tournure qu’avait pris notre conversation, après l’entrée en matière professionnelle qu’il avait conclue sans trop s’y attarder, avait pourtant de quoi flatter la petite secrétaire envoyée par son agent.
Lui iI était en pleine folie, plongé dans les âffres de la mise en scène infernale des POSSEDES au Théâtre Antoine, s’intéressait à moi.
Il posait des questions, il s’intéressait à mon sort, il voulait connaître mes ambitions…
Mais quand je lui confiai , tout de go, que mon ambition était de faire du théâtre, il s’était insurgé :
« Faire du théâtre ? C’est ridicule, il faut vite penser à autre chose ! »
Je m’était rebiffée : « Ah oui , Et pourquoi, s’il vous plait ? »
J’avais l’insolence d’une élève de terminale face à son prof de philo mais il ne voyait pas ce qui me choquait et continuait :
« Parce qu’il faut être fou pour faire du théâtre… et que vous n’êtes pas folle ! »
Dans mon lit, ce soir-là, je fulminais. Je le traitais de mufle. Qu’est-ce qu’il en sait ? Et si j’étais folle ? Il n’en sait rien !
Cette phrase me taraudait. Tout à coup, je me demandais si je ne manquais pas dramatiquement de folie. J’étais vaguement inquiète. Et si je n’étais pas faite pour le théâtre ? Comment le savoir ? Comment savoir si j’étais folle de la folie du théâtre ?
Je m’étais endormie sur cette question existentielle, tragique.
Et dans mon rêve, je me suis vue sur scène, dans un halo de lumière, ovationnée et la larme à l’œil, après une démonstration éblouissante de ma folie théâtrale.
Quelques années plus tard, le rêve s’est réalisé mais Camus n’était plus là.
C’est pourtant en pensant à lui que j’ai découvert cette folie qui dormait en moi, comme en chacun de nous, je suppose, mais il faut un détonateur et Albert Camus, pour moi, fut un prodigieux détonateur.
Ma prestation périlleuse dans le rôle de Zerbinette des FOURBERIES DE SCAPIN avait démontré que j’étais bien folle, comme les autres fous du théâtre ; et j’aurais tant voulu le lui démontrer...
Car j’étais tombée amoureuse de lui, évidemment.
Comment ne pas tomber sous le charme d’Albert Camus ?
Surtout qu’il aimait, lui, toutes les femmes, c’est ce qu’il m’avait confié un jour que lui demandais comment pouvait-il aimer à la fois son épouse Francine, et la comédienne Maria Casarès.
« J’aime toutes les femmes, avait-il répondu, les yeux dans le vague.
Cela m’avait profondément émue. J’étais donc, moi aussi, l’une d’elles...
Je revois cette scène et je sais que ce n’est pas une hallucination, cette dédicace sur le livre qu’il m’avait offert, La Chute, le prouve. Je passe un doigt sur sa signature et je suis prise de vertige, devant ce témoignage d’éternité. Albert Camus n’est pas mort, il est là, devant moi, il a écrit ces lignes devant moi et je peux revivre cette scène, indéfiniment et l’imaginaire n’a rien à voir là-dedans, la mémoire a été la plus forte ; et c’est tant mieux.
Miss Comédie
Les lendemains n’existent qu’après un long sommeil, ou une nuit blanche, ou bien après un épisode inhabituel, enchanteur ou sinistre.
Une fracture, par exemple.
Mais le temps qui passe est anesthésiant et très vite, les lendemains s’imposent.
Des lendemains qui chantent ? Des lendemains qui hantent ? Aujourd’hui, on balance entre l’espoir et la crainte, mais nos ancêtres n’avaient-ils pas les mêmes problèmes de lendemains ?
Les contes et légendes nous rappellent depuis toujours que l’on peut échapper à la triste réalité grâce à l’imaginaire.
Oui l’imaginaire est un sixième sens qui nous donne le pouvoir de vivre comme il nous plait, n’en déplaise à un quotidien banal.
Les lendemains de Miss Comédie ne sont que le prolongement de ses rêves hétéroclites, un peu transposés, il faut dire.
Ils s’inspirent généralement de personnages mythiques ou de spectacles légendaires.
Écrivains envoûtés, peintres illuminés, comédiens de théâtre, acteurs de cinéma, ils sont tous les dépositaires d’un trésor collectif : l’imaginaire.
Alors, plutôt que l’Express ou la Revue des Deux Mondes, allons chercher l’évasion là où tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. Avec Baudelaire... ou bien avec Modiano, là où tout n’est qu’ombres du passé, mystères non élucidés, souvenirs perdus dans un Paris qui garde son secret.
Ou bien avec Mozart et sa Flûte Enchantée, Edgar Poë et son monde halluciné, et puis Dali qui réinvente Gala.
Avec les Surréalistes, bien sûr,
Et aussi Tim Burton avec ses mains d’argent et autres visions magiques...
Le choix est immense, évidemment.
Et puis, chaque salle obscure, chaque théâtre, chaque roman, ne nous emmènent-ils pas hors du réel, émerveillés, prêts à nous enfuir vers un nouveau destin ?
C’est un délit de fuite qui ne peut nous ramener qu’au sein de la prison-réalité... ?
Avec l’imaginaire tout est possible et chaque lendemain peut être un émerveillement, un éclat de rire, une larme ou une lueur d’espoir, l’espace d’un instant.
A bientôt,
Miss Comédie.
2022,
A NOUS DEUX !
Que s’est-il passé le premier Janvier des années mille, mille dix, et mille cent ? Sûrement des choses bizarres, oubliées depuis. Mystère .
Plus près de nous, il y a eu le deux février deux mille, deux mille deux, et dans quelques jours ce sera le vingt deux février deux mille vingt deux… Plus tard il y aura le vingt-deux février deux mille deux cent vingt deux… et ensuite, on passera aux années trois mille .
Cela nous plonge dans des abîmes vertigineux , l’éternel mystère des chiffres .
Pour beaucoup d’entre nous, l’arithmétique fut notre bête noire durant nos années de primaire.
Les deux premiers êtres humains apparus sur terre, Adam et Eve, n’étaient-ils pas dotés de deux yeux, deux bras, et deux jambes, ainsi que d’autres paires d’organes internes et externes ?
Alors, me direz-vous, il faut s’attendre à quoi ?
Ben, à des trucs imprévisibles , surnaturel, intervention soudaine ou imperceptible de puissances cosmiques venues de lointaines galaxies pour rétablir l’ordre dans l’équilibre arithmétique des êtres humains...
Ce qui se passe dans L’ANOMALIE, par exemple, le roman transcendant d’Hervé Letellier, dans lequel deux avions portant le même numéro de vol font le trajet Paris-New-York à quelques heures d’intervalle avec les mêmes passagers !
Un phénomène qui pourrait bien se produire sur la ligne Paris-Lyon du TGV....
Qui sait si les bulletins de vote pour la Présidentielle, ne se dédoubleraient pas pour élire deux Présidents Macron, un de droite et un de gauche.
On peut tout imaginer, dès lors que l’on se plonge dans les arcanes de la science-fiction et des pouvoirs du Prince des ténèbres, maître absolu des chiffres qui modifient sournoisement le cours de notre vie
… c’est bon , n’anticipons pas sur ce ton anxyogène (nouveau terme à la mode pour « inquiétant » )…. Regardons plutôt les nouvelles perspectives qui se profilent à l’horizon, comme la sortie, cette semaine, du MAIGRET réalisé par Patrice Leconte avec Gérard DEPARDIEU, un film qui, d’après la rumeur, apparaît comme le juste renouveau du Septième Art .
De ces deux-là, on attendait rien moins qu’un coup double, une toile de maître à voir plutôt deux fois qu’une.
Miss Comédie .
J’ai revu LES VESTIGES DU JOUR et, encore une fois, à la fin, j’ai pleuré.
Non que cette fin soit un drame sanglant , au contraire, tout se passe dans la dignité mais enfin, on pleure aussi tout simplement quand c’est beau, quoi.
Et là, devant ces deux acteurs qui vivent leur adieu, le coeur brisé mais sans une larme, on est secoué d’admiration et de révolte, on ne sait de quel côté se trouve la raison . Peut-on choisir entre le devoir et l’amour ?
Attention, le film sublime de James IVORY ; sorti en 1993,ne se contente pas de décrire les coulisses d’un amour impossible... Ce n’est que l’un des tableaux de cette Angleterre ancrée dans ses traditions, face à la montée du nazisme, sous le regard omni-présent d’un majordome obsédé de perfection.
Pour ce majordome- là, pouvait-on concilier le devoir et l’amour ? Non, bien sûr...
Il faut se murer dans le silence.
Surtout éviter le moindre signe de son attirance pour Miss Kenton au risque de perturber la bonne ordonnance du train de maison.
Son unique but dans la vie était d’atteindre le sommet de la perfection dans l’exercice de ses fonctions .
C’était encore une ambition déclarée chez les majordomes de la Vieille Angleterre : la poursuite de l’excellence.
Les rivalités étaient grandes dans les demeures les plus cossues et Stevens avait mis toute son énergie pour acquérir le statut de majordome sans égal .
On se demande : Stevens était-il amoureux de Miss Kenton ?
Tout le talent de Anthony HOPKINS est là pour entretenir le doute, tant son attitude tout au long du film semble prouver le contraire. Et pourtant… Il arrive à donner à son indifférence une sorte d’invraisemblance à peine visible, que l’on s’invente peut-être, pour rendre son personnage plus humain, juste romantique !
Il est tout sauf romantique, Stevens. Il résiste, jusqu’à la fin, aux appels muets de l’amoureuse transie. Il répond à ses lettres sur le même ton poli , ils se mentent tous les deux, ils résistent à s’avouer vaincus, la distance n’y fait rien, ils vont résister jusqu’à leur ultime rencontre, celle de la dernière chance , qui va nous faire croire qu’enfin... mais non, ils n’échangent que des badineries, sous la pluie, jusqu’à l’heure du bus qui l’éloigne encore de lui. Le dernier plan, sur leurs mains qui s’étreignent, nous serre le coeur. C’est donc fini entre Stevens et Miss Kenton, le cinéma en a décidé ainsi.
Etrange coïncidence, Anthony Hopkins et Emma Thompson vont devoir se dire adieu après leurs personnages... Car ils viennent de tourner leur dernière séquence ensemble.
Suivons-les hors du cercle magique dans leur retour vers la vraie vie.
Ils sont debout face à face et leur dialogue presque inaudible semble le prolongement de leur dernière scène.
- Vous partez ?
- Oui Tony ?
Un silence qui s’éternise. Il la fixe puis lance brutalement :
Emma reste figée.
- Vous devez le savoir. Je vous ai aimée comme un fou depuis le début du film .
Encore un silence assourdissant. Les yeux d’Emma se remplissent de larmes.
- Maintenant c’est trop tard, Anthony. La vie continue.
Fin du dialogue imaginaire.
Miss Comédie
L'amour masqué
L'amour masquéL'amour masqué
C’est la grande cause du jour Et aussi le mot qui revient le plus souvent dans le vocabulaire d’aujourd’hui, avec
Urgence climatique , transition énergétique,
responsable, durable, équitable, complotiste, collectif, résilience, mobilité
et tous les dérivés de trans… mais il y en a plein d’autres qui ont été inventés par quelques progressistes qui veulent changer le monde.
Il paraît que nous allons vers la catastrophe si nous ne changeons pas le monde.
Il paraît que nous sommes responsables de la disparition de la biodiversité.
A l’école, on m’avait appris que depuis des millénaires, la biodiversité se renouvelle d’elle-même, que des espèces disparaissent pour laisser la place à de nouvelles espèces, et que certaines régions froides deviennent chaudes et vice-versa, au fil du temps.
Mais ces notions étaient certainement puériles et sans fondement, et la cancel culture est là pour remettre les choses à plat.
¨Pour l’instant, en tout cas, rien n’a changé, à part l’invasion des vélos et des trottinettes dans les villes et dans les villages.
Les espèces ont quand même tendance à disparaître au profit de la Carte Bleue, mais c’est une autre histoire.
Les arbres perdent leurs feuilles en automne et la nature reverdit au printemps, il fait plus ou moins froid en hiver et plus ou moins chaud en été, comme au Moyen-Age.
Finalement, ce nouveau vocabulaire n’a qu’un effet pervers : il installe la peur et le résultat est qu’on ne rit plus dans les dîners.
Tout le monde se plaint et les inconnus que l’on croise dans la rue deviennent suspects .
Ajoutons le vocabulaire sanitaire et la peur du Covid, et nous aurons un tableau vivant de l’Enfer de Dante qui n’était, en fait, que le souvenir d’un passé glorieux .
Après ce préambule quelque peu ffrondeur, revenons à mon sujet du jour, la biodiversité.
Quel dialogue dans quel film ?
J’ai tout d’abord pensé à ces animaux préhistoriques que Spielberg a ressuscité dans JURASSIC PARK.
Mais après avoir re-visionné le film, (le premier, car il y en a six !) j’ai renoncé à imaginer un dialogue qui ne comporterait que des cris de terreur.
Fausse bonne idée.
Faire simple, voilà la solution.
Derrière ce mot savant et prétentieux de « biodiversité » se cache la Nature, tout simplement, et celui qui en a le mieux parlé, dans mon souvenir, n’est-ce pas Mr. CHANCE, l’apôtre des jardins et de toutes les magies qu’ils contiennent ?
Dans BIENVENUE MR CHANCE, mystérieuse parabole sur le sens caché des mots le réalisateur Hal ASHBY nous montre un, Peter SELLERS habité par son personnage, insaisissable, réfugié au fond de lui-même comme s’il savait que ce serait son dernier rôle.
Et les phrases qu’il prononce sur les infinies vertus de la Nature, sont comprises comme des conseils par l’entourage du Président des Etats-Unis pour mener à bien la gestion du pays.
Shirley McLaine , sa protectrice et faire-valoir, à la fois très loin et très proche de lui, est là pour teinter de romantisme cette histoire surréaliste.
Que peuvent-ils trouver à se dire entre deux prises, ces deux-là ?
J’imagine que Peter SELLERS s’enfuit loin du plateau pour être seul... mais sa partenaire, elle, a envie de bavarder.
Shirley McLaine le rattrape dans sa fuite :
- Non non, merci.
Peter Sellers se gratte le menton et reste un moment silencieux, puis :
Ben c’est clair, non ? Ca veut dire que nous vivons tous avec une idée personnelle de la vie... enfin ... en gros, on a la vie qu’on mérite, voilà.
« Ah, ben c’est nébuleux, ton explication, je suis pas plus avancée...
Et ben moi, je trouve cette phrase inouïe, c’est la pure vérité... il lève les yeux au ciel, pousse un grand soupir et dit à mi-voix :
Le dialogue tourne court sur cette idée macabre de Peter SELLERS ;
Pourtant, il exécuta à la lettre ce projet dont l’idée lui vint en jouant le jardinier heureux de ce film prémonitoire.... En effet, la dernière image du film le montre marchant sur l’eau avant de se laisser engloutir dans le lac.
Miss Comédie
1988 : Vingt- six ans ont passé. Belmondo, à 55 ans, règne sur les écrans mais son itinéraire est en train de marquer le pas. Celui que lui propose Claude Lelouch va le remettre sur le chemin du succès.
Richard Anconina, le nouveau venu, n’est pas vraiment un gamin, il a déjà 35 ans mais en paraît dix de moins. Lelouch l’a remarqué dans le film de Claude Berri TCHAO PANTIN, où il a récolté le César du meilleur espoir masculin.
Voilà un face à face qui rappelle quelque chose !
Sur le plateau de ITINERAIRE D’UN ENFANT GATE, ils viennent de régaler l’équipe du film avec la scène d’apprentissage qui est devenue une scène culte.
L’apparente aisance de leur jeu leur a demandé un gros effort de concentration et la pause est la bienvenue.
Les deux compères se sont éloignés vers un endroit tranquille, hors du temps.
Anconina sort une cigarette et tend le paquet à Belmondo, qui refuse.
« Merci, je fume plus.
« Ah bon, pourquoi ?
« Je fais du yoga.
Anconina allume sa cigarette en riant :
« Ah, c’est bien, ça. Vous avez arrêté les cascades ?
Belmondo sursaute :
« Mais pas du tout ! Quel rapport !
Anconina, tranquillement :
« Ben, le yoga, c’est moins casse-gueule que les cascades, non ?
Belmondo affiche un large sourire :
« Ca, c’est sûr ! Mais il y a deux choses que tu dois savoir. Primo, je fais pas de yoga, c’était une blague, deuxio , j’adore le casse-gueule, et si tu veux savoir j’adore être en danger, le danger, ça me fait bander ! C’est une confidence que je te fais, pour que tu saches à quoi t’en tenir, mon p’tit.
Anconina est un peu choqué :
« Confidence trop intime… Gardez ça pour vous, ça pourrait vous rendre impuissant (il rit sous cape)
« Très drôle… Mais dis donc toi, mon joli, sais-tu au moins ce que c’est que le danger ?
Anconina ne rit plus. Son regard devient dur.
« Oui.
« Ah oui… Raconte.
Les yeux fermés, Anconina murmure comme pour lui-même :
« Je suis seul, face à la caméra, ils sont tous là, ils attendent… J’ai la trouille... Le moteur tourne, il faut que je sois juste… je suis à la recherche de la vérité. »
Très ému, Belmondo se souvient.
« Oui... oui je sais, mon p’tit, je sais... j’ai été dans cet état à ton âge, mais j’avais un maitre. Tu es mes vingt ans, me disait Gabin. Venant de lui, c’était un sacré compliment. A toi de jouer, avec le danger, maintenant ... »
Miss Comédie
Et si mon corps ne me permet plus de réaliser des cascades, de foncer à bord d'une Ferrari, de courir d'un tournage à un autre, d'une représentation à la suivante, il ne m'empêche pas de tout revivre, comme si c'était hier, comme si c'était aujourd'hui. Je mesure, en vous la racontant, combien j'ai aimé la balade, combien elle a été joyeuse, folle, riche, semée d'amitié et d'amour »
Voici ce qu’écrivait Jean-Paul Belmondo dans son livre Mille vies valent mieux qu’une paru en 2016.
Ce fut la rencontre choc de l’année. En ce mois de février 1962, Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo tournent ensemble pour la première fois.
Choc de la Nouvelle Vague contre le cinéma de papa.
La rencontre a lieu sur le tournage du film d’Henri Verneuil, UN SINGE EN HIVER.
L’un est un sacré monstre à qui on ne la fait pas.
L’autre, pourtant, a déjà fait ses griffes : A BOUT DE SOUFFLE, le dernier film de Jean-Luc Godard l’a placé en haut du box-office deux ans plus tôt.
Ils se valent donc, et leur rencontre a quelque chose de cornélien.
Les deux stars viennent de tourner, sous l’oeil scrutateur de la caméra d’Henri Verneuil, la scène périlleuse d’ivresse où chacun doit surpasser son partenaire dans l’état de saoulographie achevé.
Cela se fit avec un fair-play et une complicité qui laissa tout le monde baba.
C’est la pause :
Ils reprennent leur souffle à l’écart, hors de portée des oreilles indiscrètes.
Gabin n’est pas bavard.
Belmono rompt le silence timidement :
" Heu, vous m’avez trouvé comment ? C’était pas facile, pour moi.
« Pour moi, tu crois que c’était facile ? Jouer les mecs bourrés avec du jus de pomme en guise de calva, c’est comme faire un casse avec un pistolet à eau... ..
« Attendez, du jus de pomme ???
« J’t’explique : chuis interdit d’alcool par la production sur ce tournage... Faut assumer, non ?
« Ben moi, j’y ai cru, ça m’a même énervé, j’étais pas assez bourré à côté de vous !
« Non non, fiston, t’étais au niveau… mais c’était du réel, pas vrai ? Du vingt ans d’âge au moins, vu ton état !
Belmondo se rebiffe :
« Ouais ! J’ai pas encore rôdé le jeu de la ruse ! J’ai juste appris à passer l’arme à gauche c’est pas fastoche non plus !
Un long silence s’installe, Gabin marmoréen, Belmondo frétille puis ne se contient plus.
« Dites…
Gabin les yeux fermés, semble somnoler.
« Hmm ?
« Mais vous buvez un peu dans la vie ?
« Un peu, beaucoup, mon pote. Si je buvais moins je serais un autre homme et j’y tiens pas !
Belmondo renchérit :
« Surtout pas, ça ferait chuter les entrées ! ( il rit ) Moi, j’ai compris, je vais me mettre au scotch, un verre à chaque repas, ça peut donner du Gabin Junior, non ?
Gabin sort de sa réserve habituelle.
« Mon p’tit gars, t’as ce qu’il faut pour être un senior, sans la bibine, moi j’te le dis, t’as l’étoffe, je vois d’ici ton itinéraire…..
Ah oui ? Quel itinéraire ?
Gabin sourit :
« Celui d’un enfant gâté… »
« Pourquoi gâté ?
« Parce que tu as encore la morve au nez et que tu démarres dans le cinoche en haut de l’échelle … T’as la baraka, mon pote !
« OK, ça commence bien, mais la chance, ça tourne…
« Pas quand on est un vrai professionnel. »
Sur cette affirmation prémonitoire, on sonne la fin de la pause. Ils se lèvent pour rejoindre le plateau. Gabin passe son bras autour des épaules de Belmondo qui sourit, extatique.
Miss Comédie
LA VALSE SURPRISE DE MISS COMEDIE
Cette surprise-là, plutôt que la caméra cachée, c’est le micro caché qui nous la propose.
Une idée, comme ça, qui m’est venue : que se disent deux acteurs lorsque leur dialogue est post-enregistré et que personne ne peut les entendre ?
Ecoutons les pendant la valse du GUEPARD :
Burt Lancaster
« Tancrède ne nous quitte pas des yeux. Serait-il jaloux ?
Claudia Cardinal
Sûrement, mais de qui ?
Comment, de qui ? Vous êtes sa fiancée, non ?
Un silence.
Elle dit : « Vous parliez des personnages ?
Lui hausse un sourcil :
Oui oui, des personnages bien sûr. Les acteurs disparaissent sur un plateau de
cinéma (il rit).
« Alors, oui, bien sûr, il est jaloux de moi.
Ils tournoient en silence à nouveau, puis se détachant un peu d’elle pour la dévisager :
« Vous aviez un doute sur la personne ?
Elle éclate de rire et murmure : « Evidemment. On vous prête une amitié particulière, vous savez...
La valse s’achève et tout en lui adressant un salut protocolaire, il dit : « Je vous trouve néanmoins très belle, signorina… »
C’est un dialogue imaginaire, bien sûr, mais tout à fait possible, entre Burt Lancaster et Claudia Cardinale sur le plateau du GUEPARD. En arrière-plan, Alain Delon observait cette valse sublime avec une superbe désinvolture.
Dans le genre, j’en ai une autre, imaginaire aussi, entre deux symboles du couple idéal qui peut-être se demandaient ce qu’ils faisaient dans ce film-là !
C’était dans LE GRAND SOMMEIL, un film de Howard Hawks qui passe pour un ovni dans le ciel semé d’étoiles de l’époque. Dans cette scène,
Humphrey Bogart est en pleine fascination pour une Lauren Bacall sublime. Il n’en est pas moins plongé dans le désarroi.
LUI
Howard vient de m’appeler à l’aide. Il me demande si le personnage de Matteo doit mourir assassiné ou suicidé.... Mais je n’en sais rien, moi !
ELLE
Il n’a qu’à demander à William Faulkner, c’est lui le scénariste, non ?
LUI
C’est ce qu’il a fait, mais Faulkner dit qu’il n’en sait rien. Avoue que c’est aberrant...
Lauren Bacall, indifférente au problème, se gratte le genou négligeament , un jeu de scène très suggestif qui a valu à la scène d’être classée culte.
Elle tente cependant une suggestion :
ELLE
Qu’il demande à l’auteur du bouquin, lui, il doit savoir !
LUI, troublé mais prenant sur lui, d’un ton furieux :
Pourquoi crois-tu qu’il m’appelle au secours ? ( il se calme et ajoute d’un ton théâtral) , Raymond Chandler lui-même n’en sait rien ! Ou bien il a perdu la mémoire mais en attendant, c’est à nous, les acteurs, à réinventer ce bloody scénario !
Bien que désarmée, Lauren Bacall ne décroise pas les jambes.
Après un silence, elle tente de rassurer son partenaire :
ELLE
Si ça peut te rassurer, je t’avouerai que je ne comprends rien à mon
personnage. Pourquoi suis-je harcelée par des truands ?
Il serre les dents et lance sans la regarder :
Ah, tu ne vas pas en rajouter une louche !... Tu veux sans doute que je ré-écrive ton rôle ?
Elle est catastrophée mais préfère se taire car il enchaîne au bord des sanglots :
Et moi, je ne sais même pas qui je dois arrêter et pour quel crime... et tout ça parce que une bande de minables a réussi à entuber les majors pour ramasser du fric !
Ils se taisent un moment, et il reprend, cette fois en ironisant :
LUI
Sais-tu pourquoi le film s’appelle LE GRAND SOMMEIL ?
ELLE
Ben non, tiens.
LUI, hilare
Un journaliste a posé la question et Howard, perplexe, a répondu qu’il n’était pas sûr mais que cela devrait avoir quelque chose à voir avec la mort...
Tu sais, l’essentiel est que nous soyons ensemble au générique...
Elle décroise enfin les jambes et c’est à vous d’imaginer la fin de la scène...
Miss Comédie
Le changement est dans l’air, c’est un fait accompli, faut il s’en réjouir ou bien se lamenter ? De toute façon, on n’y peut rien, c’est comme ça.
Et si vous remarquez quelque chose de bizarre dans le décor qui encadre mon texte, cela ne changera pas l’esprit du blog, Miss Comédie est toujours là, toujours pareille et jamais la même, avec ses coups de cœur imprévus pour les idoles d’avant-hier ou d’avant-garde !
Quelle sera sa prochaine re-découverte ?
Le choix est difficile... Ce sera ma surprise de la rentrée.
A bientôt,
Miss Comédie
Parce qu’il faut bien en finir avec les PHOTO GENIES, je vais enfin rendre hommage à celui par qui tout a commencé.
Cela paraît aller de soi, aujourd’hui, d’appuyer sur un bouton et de recevoir aussitôt une image qui restera ensuite un témoignage éternel, parfaitement restitué, de cet instant tombé dans l’oubli.
Comment l’idée folle de reproduire une perception visuelle fugitive sur un support définitif a-t-elle pu germer dans le cerveau de cet ingénieur pragmatique peu enclin aux digressions chimériques ?
Car il est parti de rien, cet homme, une vision banale depuis sa fenêtre, une plaque de métal, à tout hasard, et une chambre noire aléatoire… Quel calcul pouvait-il mener à cette alchimie…?
Aucun calcul, dit-on, mais le hasard, toujours le hasard.
Le hasard est la providence des chercheurs qui multiplient leurs chances par leur assiduité et surtout leur patience. Ce sont les bienfaiteurs de l’humanité. Qu’ils reposent en paix.
Joseph NIEPCE est né en 1765 à Châlons-sur-Saône sous le règne de Louis XV. Il avait 24 ans lorsque surgit la Révolution mais il garda toute sa tête et put voir défiler les campagnes de Napoléon puis sa chute, belles pages d’histoire, et commence à entrer dans la légende à la suite de l’empereur déchu en 1816.
Petit détail amusant, il lui prit l’envie de changer de prénom en 1800, à l’âge de 35 ans… Il choisit le prénom de NICEPHORE en mémoire de Saint Nicéphore, patriarche de Constantinople, qui prit position contre les iconoclastes au moment du concile de Nicée…
Signe probable d’un esprit rebelle, il garda ce surnom jusqu’à sa mort.
Toute sa vie fut consacrée à la recherche d’objets non encore identifiés et son parcours n’est qu’un champ d’explorations où l’on s’égare parmi des découvertes qui ne mènent à rien… sauf à cette première photo, celle qui nous intéresse.
Comme l’histoire est très complexe, avec des détails techniques à la Dr Jekyll, je vais tout simplement reproduire l’historique relatif à cette première image.
C’est clair, il suffit d’imaginer l’insondable comme l’on imagine un Thomas Pesquet plongeant dans l’espace infini…
« À partir de 1816, Nicéphore Niepce entreprend dans sa maison de Saint-Loup-de-Varennes de multiples recherches sur la photosensibilité des matériaux pour tenter de fixer sur un support l'image du fond d'une chambre noire.
Il parvient finalement à un résultat à l'été 1827 au moyen d'une plaque d'étain recouverte de bitume de Judée (goudron naturel connu depuis l'Antiquité) rincée dans un bain d'essence de lavande. Il réalise depuis la fenêtre du premier étage de l'atelier de son domicile baptisé « Le Gras », la première héliographie / photographie de l'histoire de la photographie baptisée « point de vue du Gras » avec un niveau de netteté surprenant. En 1828, Niepce améliore sa technique et obtient des images d’une qualité supérieure avec des demi-teintes sur un support à base d'argent poli et en faisant agir des vapeurs d'iode sur l'image au bitume. La précision des images est étonnante. «
Vous suivez ?
Bon, en fait il fallait avoir un bon niveau en physique-chimie. Aujourd’hui, l’extrait de lavande a d’autres vertus...
Cela se passait sous Charles X le dernier roi de France car son successeur Louis-Philippe n’eut droit qu’au titre de roi des Français. Mais Nicephore n’en avait cure.
Il faut s’imaginer cet homme, la cinquantaine, fiévreux, scrutant l’image naissante sur la plaque de métal, à partir d’une chambre noire.
Qu’appelait-on chambre noire ? Cette camera obscura qui portera plus tard le nom de NIKON ou de Leica ? Ce fut aussi la cage mystérieuse qui renfermait un petit oiseau que le photographe, caché sous son voile noir, libérait avec un déclic magique. Premières étapes tâtonnantes d’un phénomène qui allait devenir planétaire!
Il faut imaginer les étapes successives, innombrables, qui ont amené ce premier déclic.
Etait-il conscient, Nicéphore, de l’approximation de sa découverte ? Ou bien savourait-il cette première image comme un aboutissement ?
Etait-il porté par la volonté irrépressible de transmettre ce qu’il voyait de sa fenêtre ? Ce n’était pas, pourtant, un spectacle féerique…
Non, pour moi, ce que Nicéphore NIEPCE recherchait avant tout, à la différence des générations qui ont suivi, ce n’était pas la capture d’une vision magique, le souvenir d’un instant pris sur le vif qui allait demeurer intact pour l’éternité… C’était l’ivresse de celui qui a inventé ce qui n’existait pas.
Car NIEPCE n’était pas un poète. C’était un ingénieur et sa passion était plutôt la découverte et l’agencement d’outils destinés à une fonction précise.
Avec son frère Claude, qui avait la même passion et qui oeuvrait en Angleterre pour négocier leurs multiples brevets, il continua à améliorer la technique de sa première photo jusqu’à obtenir un tirage sur papier - il écrit alors à son frère « nous sommes sur la bonne voie ».
Et puis, un jour de juillet 1833, l’inventeur meurt soudainement dans sa maison du Gras - arrêt sur image qui faillit couper court a ce beau début si le GENIE de la PHOTO ne s’était mis en tête de le transformer en phénomène planétaire. …
Miss Comédie
Encore, oui encore, des génies de la photo on n’en fait pas le tour, et il suffit d’évoquer un nom pour qu’un flot d’images surgisse qui n’appartiennent qu’à lui, reconnaissables entre mille.
Pour IRVING PENN, le flot n’est pas précisément tumultueux… c’est un homme réservé, réfractaire à toute folie créative… Pourtant, il jouit d’une renommée égale à celle des plus grands photographes novateurs de notre époque.
IRVING PENN, pour moi, avant l’inventaire de ses multiples talents, c’est d’abord son inimitable art du portrait. Comme celui de Picasso dont le regard perçant est presque insoutenable.
Et puis tous les autres portraits, aussi impressionnants, de personnages illustrissimes, dont le regard est le point culminant dans un décor réduit à sa plus simple expression.
Les portraits de PENN ne ressemblent à aucun autres.
Pour atteindre au plus profond de l’âme de son modèle, pour abattre la cuirasse de son ego, il connaît les manœuvres d’approche qui créent la complicité et la confiance. Puisant dans l’art du portrait de peintres comme Le CARAVAGE ou GOYA, il réussit à donner à ses photos un relief pictural.
Pour moi, malgré sa notoriété imposée par le magazine VOGUE, le vrai rayonnement d’IRVING PENN provient de sa série de portraits.
On pourrait s’arrêter là et ce serait déjà une belle carrière. Mais le coup d’envoi déterminant de sa notoriété fut cette couverture du VOGUE International d’octobre 1943 réalisée à New-York sur la demande de son directeur artistique qui était un ami.
Cette couverture fut son coup de génie : elle représentait une nature morte, ce qui ne s’était jamais fait. Mais il avait lancé un style (et il réalisa lui-même par la suite 160 couvertures pour VOGUE, et pas seulement des natures mortes…).
Il n’en faut pas plus pour amorcer un bouche-à-oreille dans la presse ou ailleurs, et le nom d’Irving PENN a fait son chemin.
Lui, il n’est pas pressé et ce n’est qu’en 1950 qu’il répond à l’appel des sirènes de la capitale de la Haute Couture, ce Paris étourdissant qui le réclame, et il traverse l’Atlantique pour affronter le cercle très fermé des grands photographes de mode.
Il y avait là, quand même, un Richard AVEDON qui régnait en maître avec quelques autres caïds du genre.
L’univers de la mode, c’est spécial, il faut assumer.
La cohue des défilés, les rivalités des mannequins, le stress des créateurs en mal de reconnaissance,
IRVING PENN n’a pas aimé cette promiscuité. Les dîners mondains, les collections, le fatiguent.
Il s’installe dans un petit local rue de Vaugirard, lumière du jour, rideau de théâtre en fond permanent, et il photographie les top-models à sa manière, c’est-à-dire comme des portraits, pour lui l’essentiel était l’humain avant le vêtement, avant le décor. Il est alors dans un état de grâce, et il réalise une série de photos superbes qui seront publiées dans le VOGUE de septembre-octobre 1950 avec son modèle préférée, Lisa Fonsagrives, une ancienne danseuse qu’il a ramenée avec lui de New-York et qui deviendra sa femme.
IRVING PENN est maintenant reconnu comme l’un des plus grands de la photo de mode, avec un style et une manière de procéder qui lui est propre et qu’il n’abandonnera jamais : la prise de vue en studio.
Jamais d’incursion dans la rue ou la nature, jamais de décor construit autour du modèle, tout doit se passer dans l’intimité et la concision d’un fond en arrière-plan et du modèle, seul sujet de contemplation.
Il ira même jusqu’à se faire construire un studio mobile à la manière d’un mobile-home pour l’accompagner dans ses voyages.
Parce que PENN est un grand voyageur. Un an à peine après ses aventures dans les milieux du chiffon, il entame un épisode nouveau qui n’a rien à voir : LES PETITS METIERS.
Voilà qu’il s’est pris d’intérêt pour les métiers manuels, leurs outils, leur quotidien, leurs acteurs, et il sillonne les quartiers populaires des grandes villes pour mettre en lumière cette corporation qui travaille dans l’ombre.
Il ne fait pas les choses à moitié : un triptyque sera réalisé sur les petits métiers de Paris, Londres et Moscou…
J’oubliais : il est revenu à New-York, s’est installé dans un nouveau studio toujours aussi sommaire, et entre deux voyages il fait des photos de nus, spécialement des danseurs, il travaille sur de nouvelles techniques de tirage, il continue à faire des photos de mode dans le même esprit spartiate que VOGUE continue à publier jusqu’à la fin de sa vie.
Tout cela pêle-mêle, impossible de mettre une logique là-dedans, moi je vous le dis, sa botte secrète c’est le Portrait.
Et au fait : Qu’est devenue Lisa FONSAGRIVES ?
Miss Comédie
Il habitait à Paris au coin de ma rue et nous avions la même vue imprenable sur le Jardin du Luxembourg. Nous nous croisions parfois, au hasard d’une promenade autour du bassin, lui avec sa très belle épouse Jeanne et leur fils César, petit diable de 7 ou 8 ans qu’ils rappelaient souvent à l’ordre lorsqu’il s’échappait hors de leur vue.
Leur trio attirait l’attention mais ils ne s’en souciaient guère, ils étaient dans leur bulle.
Il portait toujours autour du cou un objectif grand angle dont il se servait pour saisir un enfant au vol, ou quelque étrangeté invisible… c’est comme ça qu’il m’avait mis la puce à l’oreille : « Mais… oui, c’est lui, William Klein ! »
C’était un beau brun au visage souriant, aux gestes vifs.
Je le revois comme si c’était hier, et aujourd’hui il a 93 ans…
Mais passons.
Nous étions en 1966 et il n’avait que 38 ans, éternel jeune homme avec déjà derrière lui un passé glorieux.
Avoir quitté New-York à vingt ans pour venir s’installer à Paris avait été son premier coup de chance. Et puis, il avait pris la bonne route, après la Sorbonne et des études en sociologie, il avait rejoint le clan des artistes et commencé à se faire la main chez Fernand Léger ; il voulait être peintre, apparemment mais il avait trop d’envies, trop de talents pour en rester là.
C’est en 1948 qu’il rencontre l’amour de sa vie, la belle Jeanne, et l’épouse. Ils ne se sépareront plus, un demi-siècle de complicité sur tous les tableaux. Elle est son modèle, son assistante, la mère de son enfant.
William KLEIN est doué pour tout et a touché à tout : qu’il s’attaque au street-art ou à la peinture, ses travaux sont remarqués, récompensés.
Mais c’est au début des années cinquante, lorsqu’il est invité à publier ses photos de mode dans le VOGUE international, aux côtés de Helmut Newton ou Richard AVEDON, que sa carrière de photographe démarre en fanfare.
Ses photos sont savamment déjantées , il fait descendre les mannequins dans la rue au milieu des embouteillages , il invente des mises en scène et des cadrages pop art, du jamais vu.
William klein ne veut pas de modèles immobiles au sourire figé, d’attitudes règlementaires sur fond de papier glacé.
Ce qu’il veut, c’est capter la fille dans son élan, dans son univers ludique ou urbain, de la vie, quoi.
On est loin des princes du portrait qui traquent l’âme du modèle au plus près, dans le regard ou dans une pose étudiée.
La Beauté est partout n’est-ce pas ? A chacun de la saisir avec ses propres perceptions, et selon le goût de son époque.
Les temps ont changé et KLEIN fait partie des précurseurs.
Il devient le chouchou des rédactrices de mode qui se l’arrachent.
Il est le plus Parisien des Neworkais, comme son ami MAN RAY, amoureux de Paris comme lui et dont les œuvres reflètent le même esprit de rébellion envers les règles de l’art.
Ensemble, ils entreprennent des travaux de ravalement dans la photographie.
Ils inventent des nouvelles techniques de cadrage, de mise en scène, de tirage, etc... De quoi donner des idées aux jeunes photographes qui vont suivre.
Mais je vais trop vite.
Pour l’heure, nous sommes encore en 1966 au Jardin du Luxembourg et William KLEIN est en pleine période CINEMA :
On parle beaucoup du film qui vient de sortir, QUI ETES VOUS POLLY MAGOO. L’affiche est pour le moins attirante : Dorothy Mac Gowan ,Sami Frei, Delphine Seyrig, Jean Rochefort, Philippe Noiret, Alice Sapritch, la musique est de Michel Legrand.
Le réalisateur, c’est lui, William KLEIN .
Son premier long métrage après une série de courts très révélateur
C’est une satire du monde de la mode, un peu grand-guignol, qui n’a pas vraiment fait un tabac.
Mais là aussi, Klein avait de l’avance.
Dans la presse, on rappelle que Louis MALLE avait demandé à William KLEIN d’être son conseiller artistique pour le film ZAZIE DANS LE METRO, d’après le roman de Raymond QUENEAU, et ça remonte à 1960
Ca donne envie de voir…
Moi, j’en suis restée à POLLY MAGOO et je n’ai pas aimé le film. Mais aujourd’hui, je reverrais peut-être mon jugement ? les temps changent de goût et d’humeur…
William KLEIN a suivi sa trajectoire, fidèle à ses principes car il n’en avait pas, et toujours en haut de l’affiche, même avec une pochette d’album complètement foutraque, que lui avait demandée Serge GAINSBOURG en 1984 avec ces mots : « Je veux être belle ! » William KLEIN avait plongé, bien sûr. La photo est anthropomorphique.
Aujourd’hui, William KLEIN habite t’il toujours le quartier de l’Odéon ? Fait-il encore sa promenade dans le Jardin du Luco, en solitaire, les mains dans le dos, son fidèle appareil photo au cou ?
Miss Comédie
PS : William KLEIN n’est ni le père, ni le fils, ni le frère de Yves KLEIN ; célèbre auteur du bleu Klein, un bleu d’une couleur unique, inimitable, plus bleue que le bleu des mers du Sud.
SARAH MOON
Le Musée d’Art Moderne lui consacre une exposition intitulée PASSE, PRESENT, rétrospective d’une carrière en images saisies au vol, à tire d’ailes entre le réel et l’imaginaire.
Elle est là, l’artiste, à peine 80 ans, face à face avec son talent décomposé, reconstitué, illuminé, affiché, ses photos, ses films, ses livres. Son passé, quoi… et elle assume :
« Je n’ai rien contre la nostalgie. La photographie m’intéresse pour son rapport au temps, cette allusion constante à la perte, à la mémoire, à la mort. La photographie m’échappe autant qu’elle me saisit. Il y a dans ma démarche une part d’inconscient que je ne cherche pas à analyser. »
Ce qu’elle ne verra pas, sur les murs du Musée, ce sont les rues de Londres qu’elle a arpentées, au début des années soixante, son book sous le bras, de studio en studio où elle posait pour les grands photographes, mannequin Junior peut-être, on l’imagine menue et pas très grande, avec une frimousse toujours souriante, au regard flou de myope.
Elle en a eu vite assez, et c’est à Paris qu’elle a eu envie de renverser les rôles.
Elle s’est mise à photographier ses anciennes copines mannequins pour les magazines et ses photos ont été vite remarquées.
Sarah MOON avait l’objectif complice, elle inventait des mises en scène où les modèles semblaient flotter hors du temps, inspiré par le souvenir de films qui l’avaient marquée, comme ceux des années 30.
La maison CACHAREL a saisi au vol cette inspiration nouvelle, en rupture avec l’érotisme sous-jacent de ses collègues masculins.
Les campagnes CACHAREL ont fait sa gloire durant plus de dix ans, rafraichissantes, toujours reconnaissables : du Sarah Moon, forcément.
Les commandes ont suivi , Chanel , Armani , Dior ... pour des magazines de luxe . Avec son assistant-gourou, elle assurait.
Et puis, quand celui-ci l’a quitté pour l’autre monde, inconsolable, elle a pris un autre chemin, celui de la photo artistique.
Elle a en tête le travail de Guy BOURDIN, celui qu’elle admire et dont elle envie les audaces presque picturales.
Elle a en elle tout ce qu’il faut pour transformer ses photos en œuvres d’art audacieuses, elle le sent. Soutenue par l’amour de sa vie, Robert DELPIRE, célèbre éditeur et publicitaire, elle construit sa carrière comme un acteur se construit un personnage, éternel dans la mémoire collective, à travers ses métamorphoses
mêmes.
Délaissant la mode et ses contraintes, son inspiration s’est nourrie du spectacle du monde, la rue, la nature, les animaux, le cirque.
Elle adorait le cirque, ce cercle magique, domaine des exploits impossibles, spectacle onirique entre fascination et angoisse.
Elle aimait photographier l’ambiance des coulisses, les répétitions, les ratés, le travail acharné des funambules comme des animaux dressés, le regard lointain des créateurs de rêve.
Comme eux, elle cherchait à s’échapper du plat pays de la réalité.
Aujourd’hui, choisir une seule photo pour rendre hommage à
Sarah MOON était impossible, c’est pourquoi je me suis résolue à rappeler cette campagne qui a fait sa notoriété, CACHAREL et ses images émouvantes, vivantes et drôles.
Mais si vous allez faire un tour du côté de son exposition au Musée d’Art Moderne, vous oublierez vite CACHAREL et la mode pour vous plonger dans un monde étrange et disparate où vous irez de surprise en surprise, enveloppé dans une douce sensation de déjà vu, déjà vécu, souvenirs des années folles.
Si vous la croisez, elle vous dira en riant :
« Vous avez dit Chronologie? Je n’ai pas de repères; mes jalons ne sont ni des jours, ni des mois, ni des années. Ce sont des avant et des après… C’est à la fois pour m’approcher et m’échapper de la réalité qu’instinctivement j’ai
regardé à travers l’objectif d un appareil photographique…”
Confudences d’une artiste qui se veut hors du temps, alors que
mine de rien, Sarah MOON, avec ses Avant et ses Après, a sa place parmi les grands photographes du PASSE et du PRESENT .
Miss Comédie
Exposition Sarah Moon PASSE PRESENTau Musée d’Art Moderne à Paris, du 18 septembre 2020 au juillet 2021.
Ce fut la surprise de la rentrée. On découvrait sur les murs de Paris une belle plante en maillot, dos à la mer, les poings sur les hanches, qui nous proposait un strip-tease en 4x3 : « Demain j’enlève le haut »…
Intrigués mais incrédules, on a pensé « il y a une embrouille, là-dessus ! «
En 1981 les campagnes publicitaires utilisaient déjà le « teasing » pour stigmatiser l’attention sur des lancements de nouveaux produits ou de nouvelles marques. Là, le suspense était entier.
Le 2 septembre, donc, on est resté pantois. La souriante jeune fille nous balançait ses seins nus plein pot, et nous convoquait pour une suite plus hard encore :
«Demain j’enlève le bas » !
La rumeur fit le tour des terrasses de café et dans les dîners on lançait les paris : « Ouais, elle va recouvrir ça avec un chapeau... etc. »
La troisième affiche était superbe. De dos, elle nous offrait une plongée sur des fesses magnifiques, une bombe.
Et là, le slogan lui aussi gonflé à bloc : « AVENIR, L’AFFICHEUR QUI TIENT SES PROMESSES »
La jeune fille s’appelait Myriam et le photographe était son ex, Jean-François JONVELLE.
Il était déjà connu comme photographe de charme, c’est à dire spécialement doué pour les photos de nus, avec des modèles qui étaient la plupart du temps ses compagnes, dans des poses surtout pas académiques mais intimistes, nonchalantes et naturelles.
Maud Marker, une des seules avec qui il ait vécu sans la photographier et qui en est devenu son agent, précise: «Il ne cherche pas la plante de 1,80 m avec la fesse à 1,12 m. Il veut une frimousse, un regard, du piquant. Une sauvageonne spontanée, rigolote, qui ne triche pas.»
Comme Myriam, donc, qui fut pour lui une passante parmi tant d’autres, lui laissant au passage de jolis vestiges de leur complicité.
Son book est un florilège de jeunes filles telles qu’elles sont, dans des postures prises sur le vif dans des gestes quotidiens.
Léger ? Frivole ? Un peu trop « sex » ? Pas seulement, JONVELLE est resté aussi comme un maître du N &B dans des portraits aussi percutants que ses nus étaient hédonistes.
Derrière un talent abouti, il y a souvent un maître.
JONVELLE fut l’assistant de Richard AVEDON ! qui dit mieux pour se choisir un guide ? AVEDON, qui débuta à douze ans en faisant le portrait de Serge Rachmaninov, lui enseigna l’art du portrait en Noir et Blanc, et l’élève égala le maître dans ce parti pris de minimalisme.
Les stars se sont succédées devant son objectif avant que l’Agence de publicité CLMBBDO lui confie la photo de l’affiche MYRIAM, pour l’afficheur AVENIR ; main dans la main avec un sacré concepteur rédacteur PIERRE BERVILLE qui dirigeait l’Agence et qui est à l’origine de cette campagne explosive.
Pour JONVELLE ce n’était pas un coup d’essai, mais ce fut un joli coup de maître…
En fait, il ne s’écartait pas vraiment de son côté photographe de charme, du charme il y en avait plein l’affiche, tel qu’il le voulait, sensuel mais pas lourdingue, gourmand mais pas indigeste…
Une affiche qui serait censurée, aujourd’hui, pour insulte à la dignité de la Femme. C’est fou, les musées sont pleins d’insultes à la dignité de la Femme. Que fait la police ?
Miss Comédie
C’était fatal, celle-ci se devait de figurer au
Panthéon des photos légendaires qui ont marqué leur époque.
Provocante ? Oui, provocante, mais nullement choquante, tant le modèle pose avec une candeur de premier communiant .
Le moment était bien choisi, il faut le dire .
En1971, on se libère des dictats de la mode, on fait voler en éclat la censure des images publicitaires, et le couturier-star Yves SAINT LAURENT s’engouffre dans la brèche, si je puis dire...
Il avait pris de l’avance, avec un style qui allait devenir la « nouvelle élégance », mais se propulser en personne au-devant des projecteurs, lui si réservé et si timide, détestant l’exhibitionnisme et la coquetterie des stars de la mode c’était une autre histoire...
Il a franchi le pas et s’est dévoilé, nu, devant l’objectif de Jean-Loup SIEFF comme un défi à la société et à lui-même.
« Je suis prêt à tout pour me vendre » et cette phrase est déjà un premier pas vers la provocation. Mais elle ne lui ressemble pas !
N’empêche, la photo est là et le monde entier en a eu plein les yeux.
On découvrait, ébloui, la minceur et la grâce de ce corps célèbre qui s’effaçait derrière son staff, dont on ne connaissait que le regard flou derrière ses lunettes de myope.
Mais Jean Loup SIEFF est un ami de longue date. Dans le huis clos rassurant du studio de la rue Ampère, seuls avec l’oeil impitoyable de l’appareil Hasselblad, la pudeur a fait place à l’attraction libératrice de l’objectif.
Pris au jeu, Yves Saint-Laurent s’est lentement prêté aux directives du photographe, pour devenir l’égérie de sa marque.
Il a gardé ses lunettes et n’a pas voulu se représenter en Apollon musclé et séducteur. Son côté féminin est là, clair et net, et cela impose le respect.
Car ce n’est pas un caprice, une lubie née dans une volute d’opium. Il s’agit du lancement de sa première eau de toilette Homme et YSL veut que sa promotion soit «du jamais vu » ...
C’est donc vers Jean-Loup SIEFF, l’incontournable, qu’il s’est tourné naturellement et le projet se transforma en une réalité explosive grâce à l’étroite complicité de ce tandem de choc.
Jean-Loup SIEFF n’eut pas que Saint-Laurent comme modèle célèbre, il travailla avec les plus grands mannequins de l’époque, dont la mignonne Jean SHRIMPTON, égérie de David BAYLEY qui la lui prêta pour quelques numéros de VOGUE américain, mais aussi Marie-Hélène ARNAUD et quelques autres top models surbookées .
On ne compte pas les magazines et les expositions à travers le monde qui ont exploité magnifiquement les talents de Jean-Loup SIEFF, aussi bien dans le domaine de la mode que dans celui de la nature ou des portraits.
Toujours traités en Noir et Blanc, ses clichés qu’il développait lui-même sont encore des visions emblématiques de quatre décennies fabuleuses.
……….
Où sont-elles donc, ces années fabuleuses ?
Ces années pop, ces années Rock, ces odyssées de l’espace, ces années Marguerite Duras, ces fantômes de la liberté, ces satanées night fever avec ce foutu Madison qui comptait les pas sur la piste encombrée,
Et ces comédiens Français sur un plateau qui mettaient . Molière par dessus tout,
Et le tango qui rend fou,
ces folies Dorothée Bis,
ces cigarettes au bout des doigts, les briquets qu’on allumait tous pour saluer l’idole au Zénith,
ces fans qui aimaient les Stones autant que les Beatles,
ces femmes qui aimaient les hommes, avec des yeux de
biche au feutre noir,
et BB sous toutes ses formes,
et pas trace de Covid dans tout ça, souvenez vous.
Miss Comédie
C’était fatal, celle-ci se devait de figurer au
Panthéon des photos légendaires qui ont marqué leur époque.
Provocante ? Oui, provocante, mais nullement choquante, tant le modèle pose avec une candeur de premier communiant .
Le moment était bien choisi, il faut le dire .
En1971, on se libère des dictats de la mode, on fait voler en éclat la censure des images publicitaires, et le couturier-star Yves SAINT LAURENT s’engouffre dans la brèche, si je puis dire...
Il avait pris de l’avance, avec un style qui allait devenir la « nouvelle élégance », mais se propulser en personne au-devant des projecteurs, lui si réservé et si timide, détestant l’exhibitionnisme et la coquetterie des stars de la mode c’était une autre histoire...
Il a franchi le pas et s’est dévoilé, nu, devant l’objectif de Jean-Loup SIEFF comme un défi à la société et à lui-même.
« Je suis prêt à tout pour me vendre » et cette phrase est déjà un premier pas vers la provocation. Mais elle ne lui ressemble pas !
N’empêche, la photo est là et le monde entier en a eu plein les yeux.
On découvrait, ébloui, la minceur et la grâce de ce corps célèbre qui s’effaçait derrière son staff, dont on ne connaissait que le regard flou derrière ses lunettes de myope.
Mais Jean Loup SIEFF est un ami de longue date. Dans le huis clos rassurant du studio de la rue Ampère, seuls avec l’oeil impitoyable de l’appareil Hasselblad, la pudeur a fait place à l’attraction libératrice de l’objectif.
Pris au jeu, Yves Saint-Laurent s’est lentement prêté aux directives du photographe, pour devenir l’égérie de sa marque.
Il a gardé ses lunettes et n’a pas voulu se représenter en Apollon musclé et séducteur. Son côté féminin est là, clair et net, et cela impose le respect.
Car ce n’est pas un caprice, une lubie née dans une volute d’opium. Il s’agit du lancement de sa première eau de toilette Homme et YSL veut que sa promotion soit «du jamais vu » ...
C’est donc vers Jean-Loup SIEFF, l’incontournable, qu’il s’est tourné naturellement et le projet se transforma en une réalité explosive grâce à l’étroite complicité de ce tandem de choc.
Jean-Loup SIEFF n’eut pas que Saint-Laurent comme modèle célèbre, il travailla avec les plus grands mannequins de l’époque, dont la mignonne Jean SHRIMPTON, égérie de David BAYLEY qui la lui prêta pour quelques numéros de VOGUE américain, mais aussi Marie-Hélène ARNAUD et quelques autres top models surbookées .
On ne compte pas les magazines et les expositions à travers le monde qui ont exploité magnifiquement les talents de Jean-Loup SIEFF, aussi bien dans le domaine de la mode que dans celui de la nature ou des portraits.
Toujours traités en Noir et Blanc, ses clichés qu’il développait lui-même sont encore des visions emblématiques de quatre décennies fabuleuses.
……….
Où sont-elles donc, ces années fabuleuses ?
Ces années pop, ces années Rock, ces odyssées de l’espace, ces années Marguerite Duras, ces fantômes de la liberté, ces satanées night fever avec ce foutu Madison qui comptait les pas sur la piste encombrée,
Et ces comédiens Français sur un plateau qui mettaient . Molière par dessus tout,
Et le tango qui rend fou,
ces folies Dorothée Bis,
ces cigarettes au bout des doigts, les briquets qu’on allumait tous pour saluer l’idole au Zénith,
ces fans qui aimaient les Stones autant que les Beatles,
ces femmes qui aimaient les hommes, avec des yeux de
biche au feutre noir,
et BB sous toutes ses formes,
et pas trace de Covid dans tout ça, souvenez vous.
Miss Comédie
NICK ULT
Son nom ne vous dit rien. C’est lui, pourtant, l’auteur de cette image bouleversante qui a fait le tour du monde.
Comme si le monde pouvait, en détournant les yeux de l’insoutenable, se détourner un jour de l’horreur de la guerre.
Il faut rappeler cette histoire, digne d’un film de Coppola, mais ce n’est pas de la fiction, ça s’est passé vraiment, devant ses yeux et il a fixé l’Instant, à jamais.
« Ce 8 juin 1972, dans le village de Trang Bang, au Vietnam, une effroyable bavure est commise par l'aviation sud-vietnamienne, qui lutte avec les États-Unis contre les forces communistes du Nord. Mal renseignés, les bombardiers Skyraider se trompent de cible. Ils larguent des bombes au napalm sur un temple qui abrite non pas des combattants vietcongs, mais leurs propres soldats et des civils.
Kim Phuc, neuf ans, figure parmi les victimes de cette erreur dramatique.
….À quelques centaines de mètres de là, le photographe Nick Ut a assisté à toute la scène. Avec un groupe de journalistes internationaux, il a découvert, horrifié, que des civils surgissaient du nuage de fumée. Il a photographié, parmi eux, la grand-mère de Kim Phuc portant dans ses bras le corps inerte d'un petit garçon : Danh, trois ans. Et dans les bras d'un homme vêtu de blanc, Cuong, un bébé de neuf mois. Tous deux sont les cousins de Kim Phuc, les fils de sa tante Anh. Tous deux ont été touchés mortellement.
Lorsque la fillette parvient à son tour jusqu'à lui, Nick Ut tire de son sac son quatrième et dernier appareil photo encore chargé, un Leica M3. Il immortalise la détresse de la petite fille neuf ans, qui répète sans cesse les mêmes mots : "Trop chaud ! Trop chaud ! » À sa droite, son grand-frère Tam implore les adultes :
"Aidez ma sœur !"
Et Nick Ult ne se le fait pas dire deux fois. Il transporte Kim Phuc dans la voiture de l’Associated Press jusqu’à l’hôpital le plus proche et entreprend les démarches d’urgence qui vont lui sauver la vie
Pourquoi se trouvait-il là ? Avait-il la mission divine de saisir l’instant où une petite fille allait démontrer aux yeux du monde la cruauté aveugle de la guerre ?
Ce fut lui, donc.
Nick est un reporter- photographe qui vient d’être embauché par l’Associated Press pour couvrir cette région du Vietnam secouée par la guerre.
Il est né au Vietnam mais il est citoyen américain et vit à Los Angeles.
Ce 8 juin 1972 il a seulement 21 ans ; le soleil brille et il attend, prêt à shooter ces civils terrorisés qui fuient le village en flammes et ce moment lui paraît dépasser les limites de sa mission. Mais il faut shooter l’insoutenable il est là pour ça.
Il a épuisé les chargeurs de ses trois appareils et voilà qu’il aperçoit la petite fille, spectacle qui lui soulève le cœur.
Il y a le quatrième appareil, encore chargé, et il le sort en tremblant, il appuie sur le déclencheur.
Saisir l’instant. Il se sent aussi coupable qu’eux, il faudra détruire cette photo. Mais elle ne lui appartient plus.
Nick le photographe disparaît derrière Kim Phuc, l’icône de l’inaccessible paix sur la terre.
Kim Phuc a aujourd’hui 55 ans et vit au Canada avec son mari et ses deux enfants. Elle s’est libérée des instances politiques et diplomatiques qui voulaient faire d’elle leur porte-drapeau et travaille pour des œuvres caritatives au sein de l’UNESCO dont elle est devenue l’ambassadrice.
Sur le terrain, elle a retrouvé son sauveur et premier photographe, Nick ULT ; « Mon meilleur ami », dit-elle.
Fin de l’histoire de LA FILLE SUR LA PHOTO, publiée dans l’OBS dont j’ai librement repris les grandes lignes.
Je ne connaissais pas cette histoire, je suis heureuse que mon blog m’ait suggéré de faire la connaissance de Nick ULT, photo-génie enfin reconnu.
Miss Comédie
Man Ray ou l'illusionniste
Tous les photographes n’ont pas le même objectif. Non, sans jeu de mots, je réalise aujourd’hui que je me penche sur le sujet, que le métier de photographe n’est pas si simple à cataloguer.
Au moment où j’envisage MAN RAY comme le quatrième « génie » de ma liste, et où je me plonge dans son oeuvre pour en choisir la photo symbolique, je suis devant une évidence .
Les photos de MAN RAY ne sont plus des instantanés, ce sont des compositions préméditées, étudiées, des esquisses d’oeuvres d’art .
MAN RAY ne se contente pas d’appuyer sur le déclencheur, il s’empare de sa prise de vue et il la travaille, la détourne, l’enjolive, la solarise… Le résultat, pour nous les observateurs, donne à réfléchir non pas sur l’avant ou l’après-clic, mais sur l’intention du tireur, et bien au-delà, sur ce que l’image éveille en nous de curiosité ou d’émotion.
La photo que j’ai choisie, bien que très ancienne, elle date des années vingt, nous parait tout à fait conforme à l’image de notre vie actuelle, à ce doux désordre qui nous submerge.
Beaucoup plus actuelle, en fait, que celles de DOISNEAU ou de CARTIER_BRESSON qui nous montre un Paris totalement dépassé mais tellement émouvant.
A chacun son objectif, l’imaginaire ou le réel et dans ce pari-là il n’y a pas de gagnant.
Le pari de MAN RAY était d’ajouter au réel une part d’imaginaire et l’époque se prêtait à toutes les libertés en matière de création :
MAN RAY, fraîchement débarqué d’Amérique en 1921 au moment où Paris est entiché de surréalisme sous toutes ses formes, il est accueilli par Marcel Duchamp qui l’introduit dans le milieu des artistes qui comptent : Aragon, Eluard, André Breton.
Lui, qui a toujours refusé la suprématie de la peinture sur la photographie, pour qui l’appareil-photo est l’équivalent d’un pinceau ou d’une plume, a trouvé sa voie.
Il va révolutionner l’art de la photographie avec des portraits surtout pas académiques de ses amis qui ne sont pas vraiment des inconnus : Cocteau, Magritte, Picasso et surtout sa consoeur et amie allemande Meret Oppenheimer qui fut longtemps une source d’inspiration.
Oui, MAN RAY est l’ancêtre des photographes humanistes qui ont boudé la sophistication pour privilégier la magie de l’instant . Et voilà que ses photos restent en place, éternels paradoxes d’un photographe toujours d’actualité.
Je n’avais pas envisagé de chronologie dans ma liste de génies, mes choix se faisaient sans ligne directrice, juste l’attrait d’un nom, d’une époque, un peu au hasard.
Je découvre peu à peu des filiations, des points communs en filigrane, tout ce qui fait le mystère de ce métier si inclassable : MAN RAY a inspiré l’un des photographes de mode superstar des années soixante, GUY BOURDIN, qui lui-même a inspiré Sarah Moon, et Mondino, Goude, qui ont eux aussi inspiré des futurs génies de notre époque. Alors. Qu’importe la chronologie ?
Tout cela n’est finalement qu’une manière détournée de m’adresser à vous, les passants inconnus qui jetez un oeil sur ce blog, une manière dérisoire de faire comme si tout était comme avant.
Miss Comédie
L’INSTANT DECISIF DE CARTIER BRESSON
Oui, parce que ce regard n’a duré qu’une fraction de secondes, bien sûr, il fallait presque prévoir cet instant décisif pour appuyer sur le déclencheur au moment même où le mépris, le dégoût, la désapprobation, l’incompréhension, tout cela allait être fixé à jamais.
Et puis, au premier plan, comme séparé par un mur invisible, ce bloc d’indifférence en flagrant délit de modernité.
Ultime cerise sur le gâteau, elles ont entre les mains un exemple palpable de leur quotidien... ce qui pourrait faire croire à un photo montage... mais non n’y pensons pas, c’est juste un coup de bol du « tireur ».
Cette photo, contrairement à mes deux précédentes, ne pose aucune question, les réponses sont là, date, lieu, humeur : nous sommes aux Deux Magots à la fin des années soixante, en plein conflit des générations.
Si, il y a une question que je me pose : le photographe était-il là, posté depuis des heures à une table en face mais hors de leur champ de vision, pour attendre ce qu’il prévoyait peut-être ou plutôt ce qu’il espérait ?
C’est peut être la seule question qui compte pour expliquer cet instant décisif qui semble être pour Cartier Bresson l’équivalent de la « note bleue » pour Chopin – le moment où le doigt obéit à l’âme du tireur en pleine inspiration irrésistible, forcément infaillible. .
A l’entendre, il n’y a pa secret
« être sensible, essayer de deviner, être intuitif : s'en remettre au « hasard objectif » dont parlait Breton. Et l'appareil photographique est un merveilleux outil pour saisir ce « hasard objectif ». »
Il avait un côté pédagogue qui prétendait tout expliquer, mais comment expliquer son talent ?
Il a dit aussi
« La photo, c’est la concentration du regard. C’est l’œil qui guette, qui tourne inlassablement, à l’affût, toujours prêt. La photo est un dessin immédiat. Elle est question et réponse. »
La photo ci-dessus s’appelle « Le regard ».
Il détestait que l’on mette des légendes à ses photos :
« Laissons les photos parler d’elles même et, pour l’amour de Nadar, ne laissons pas les gens assis derrière des bureaux rajouter ce qu’ils n’ont pas vu ! ».... C’est envoyé !
L’homme n’était pas commode. Le photographe, pourtant, avait l’œil bienveillant pour les gens de la rue, les scènes d’exode ou de combat, les visages célèbres qu’il tirait à bout portant..
Quel parcours ! Quelle longévité ! Quelle diversité dans sa représentation du monde depuis sa période surréaliste qui faillit l’absorber définitivement, jusqu’à la création de la mythique Agence Magnum qui fut sa plateforme vers l’inconnu.
Et pour finir, nonagénaire, dans la quiétude des paysages alpestres, dans l’écriture, le dessin et la méditation.
Ce regard, il a dû le cueillir dans ses années parisiennes, il devait avoir dans les quarante ans et son œil devait savourer l’humour de la situation plutôt que son amertume – du moins je l’espère !
Miss Comédie
JEAN PAUL GOUDE
Figure biblique ? Satanique ? Mystique ? Sculpture minérale ? Sidérale ? Vestige pharaonique ?
Mystérieuse, inquiétante mais sublime, cette photo est l’une des plus sages de l’univers de Jean Paul Goude, fantasmagorique s’il en est.
Il vit une histoire d’amour fou avec Grace Jones qui n’en finit pas de l’inspirer.
Bientôt, il délaissera les portraits de la belle Jamaïcaine pour se lancer dans la publicité décoiffante des années soixante et soixante-dix, avec des campagnes inoubliables pour Citröen, Chanel ; les Galerie Lafayette et quelques autres
Les stars se battaient pour être des slogans à la Goude et lui, faisait des prodiges dans l’évènementiel.
La photo que j’ai choisie, pourtant n’avait pas fait délirer les medias. On lui préférait celle où Grace Jones pose nue dans une cage à fauves, car les féministes tenaient la une cause à défendre .
N’empêche, on frémit à l’idée de croiser le regard qui se cache derrière ces verres colorés... Un regard aussi assassin que celui d’un félin de la classe supérieure. Avec cette bouche en première ligne, pour promettre ce que les yeux ne dévoilaient pas.
Il faut ignorer tout le fatras de créations picturales, annonces et défilés, danses folkloriques et parures exotiques que Goude a multiplié sous tous les prétextes ludiques de l’époque, et plutôt contempler le panorama magnifique des photos de Grace Jones dans tous ses états. Elle était un matériau inépuisable, une terre glaise rare à modeler selon l’humeur du moment.
Elle aussi, a finalement délaissé cette union dans l’art de la métamorphose pour se lancer dans la chanson avec autant de sensualité animale. Et là encore, on reste pantois devant cette espèce inconnue à visage humain, comme un vestige d’un autre temps.
Voilà, je referme la parenthèse Jean-Paul Goude comme il a lui-même mis fin à l’épisode Grace Jones.
Il suffit d’un visage énigmatique pour éveiller notre curiosité et comme le chat, dévider la pelote pour connaître le fin mot de l’histoire.
Miss Comédie
ROBERT DOISNEAU
Cette photo m’intrigue. Elle me fait penser à un tableau de Hopper, avec là aussi une jeune femme pensive, tournée vers une fenêtre ouverte, à la recherche d’on ne sait quel souvenir, ou rêvant d’une mystérieuse rencontre, d’un amour impossible ou de l’envie soudaine d’une toilette extravagante pourquoi pas ?
Cette photo pose d’innombrables questions :
Et d’abord, où se trouve cet immeuble ayant pour seul vis à vis l’Arc de Triomphe ?
La jeune femme s’est-elle approchée de la fenêtre, intriguée par un bruit insolite venant de la rue, un cri, ou l’approche d’un orage ?
Est elle en proie à une immense douleur, un choc dévastateur qui la fait imaginer un instant de se jeter par-dessus la balustrade ?
Est elle à la recherche d’un appartement et s’arrête-t-elle, subjuguée, devant la vue époustouflante vantée par l’Agence immobilière ?
Hésite-t-elle avant de sortir, à prendre un manteau ou un simple blazer ?
Ou tout simplement à refermer la fenêtre à cause d’un courant d’air frais ?
Robert Doisneau a-t-il passé la nuit dans cet immeuble avec cette jeune femme rencontrée dans un bar, et l’a-t-il photographiée en train d’admirer l’Arc de Triomphe ?
Ou bien a-t-il résidé un temps dans cet immeuble et la jeune femme est-elle son épouse ?
En plus, Doisneau quitte rarement le pavé de Paris et sa faune pittoresque pour s’introduire dans les étages.
Que faisait-il donc là haut ?
On n’en finirait pas d’explorer le passé, le présent et l’avenir de cette femme devant sa fenêtre, et de se demander par où est passé le petit oiseau pour animer cette photo de l’intérieur.
Par quel courant magnétique le photographe a-t-il pu communiquer leur mystère à quelques photos de légende qui éveillent en nous des questions sans réponse, ou d’obscures réminiscences, c’est encore l’un des mystères de l’alchimie entre l’oeil du photographe et son modèle.
Chez Doisneau, chaque coin de rue, chaque passant, chaque clochard est une histoire vraie, vivante et pleine de questions.... Paris regorgeait de poésie et de mystères à saisir, il ne s’en est pas privé.
Itinéraire d’un gamin de Paris :
Robert Doisneau est né en 1912 à Gentilly (Seine et Oise) au 39 de l’avenue Raspail.
L’immeuble porte la plaque commémorative de sa naissance, ce qui démontre son immense popularité.
Depuis , une foule de rues, d’avenues, de squares, de salles d’expositions, ont fleuri sur le territoire français en hommage et reconnaissance au photographe célébrissime.
Sa célébrité n’est pas le fruit du hasard, il la doit à quelque milliers de clichés exposés durant des années dans tout ce qui existe comme lieux destinés à la contemplation d’images saisies par la grâce .
Ces images vestiges d’un Paris de l’après-guerre, Doisneau les a glanées en promeneur curieux , saisissant au passage ces images volées au temps qui passe comme cette photo-culte LE BAISER DE L’HOTEL DE VILLE, qui n’en finit pas de nous émouvoir.
Amoureux de Paris, Doisneau l’est aussi des paysages éternels de la France provinciale, des photos prises avec le coeur et relayées avec son inséparable Rollei Flex,
Robert Doisneau aurait pu continuer, avec son diplôme de graveur-lithographe, à dessiner pour des industriels si sa voie n’avait été détournée vers la photo grâce à un ami (c’est une stratégie qu’utilise couramment le destin pour nous ramener sur la bonne voie)
On le branche sur un labo qui le forme à la photographie et de fil en aiguille il se retrouve embauché chez le constructeur Renault comme photographe industriel.
Mais son manque d’assiduité et surtout la découverte de ses cartes de pointage falsifiées, le fait renvoyer au bout de cinq ans.
Mais la route était tracée. Il travaille avec l’Agence Rapho qui lui commande reportages sur reportages, dont certains seront publiés dans des magazines à diffusion internationale.
Voilà, c’est parti. Il photographie tout ce qui bouge, et particulièrement dans le Paris populaire des années d’après-guerre.
Il est catalogué « photographe humaniste », il est dans le vent avec plusieurs de ses confrères qui ont la même ambition. C’est pourtant lui qui tient le haut du pavé, ce pavé parisien qui lui inspire jour après jour ce fabuleux album du souvenir.
Il se marie en 1934 , à 22 ans, avec Pierrette Chaumaison et leur union dura toute leur vie. Elle partit la première, et il la suivit de près, inconsolable, il avait 81 ans.
O toi, l’amoureux de Paris, si tu existes encore quelque part au dessus de nous, et que ton regard cherche à se raccrocher à quelque merveille au coin d’une rue de cette ville aux trésors, détourne ton regard car Paris n’est plus ce que tu as connu, irrémédiablement.
Miss Comédie
On espérait bien que cette nouvelle année serait l’année de la délivrance. Il semble bien que non. Nous n’avons pas fini de cheminer dans les sables mouvants d’un virus dont on ne sait toujours rien, sinon qu’il résiste à tous les protocoles sanitaires, à tous les couvre-feu, à tous les confinements.
Donc , difficile de commencer 2021 sur une note optimiste sans passer pour un Seguéla de la Santé.
Evitons donc le sujet et parlons d’une pandémie artistique qui réjouit le monde entier : la photo. Pas celle qui inonde nos smart phones, oubliée dès le lendemain.
Celles qui ont été les témoins d’une minute d’éternité, capturées par des artistes « historiens de l’instant », comme disait Camus des journalistes.
Rien de plus réconfortant que d’égrener ces souvenirs sur papier glacé du temps où l’on ne portait pas de masques.
PHOTO GENIE
Cap d’Antibes , février 1926
La salle de restaurant s’est vidée peu à peu.
Un couple s’attarde encore , savourant l’euphorie de ce moment entre ciel et mer.
Leur table, face à la Méditerranée, montre qu’ils ont déjà pris leur café après quelques verres d’un bordeaux peut-être millésimé.
La salle du restaurant Eden-Roc, d’une belle ordonnance et d’une élégance intemporelle, semble être le lieu de rendez-vous d’une clientèle éprise de perfection . Le couple est silencieux, ils se sont pris la main, et restent encore immobiles, les yeux dans les yeux.
Ils sont tous deux d’une élégance discrète, la femme est d’une grande beauté.
Soudain, l’homme se lève, il a un appareil photo autour du cou.
« Où vas-tu ?
« Je ne suis pas loin.
« On part déjà ?
« Non, je vais te prendre de dos.
« Oh, je t’en prie.
« C’est si beau. Je vois la pointe du cap Ferrat au loin, dans une mer qui scintille de mille feux...
« Tu n’avais qu’à te retourner pour avoir la vue !
« Impossible ! En face, j’avais ton visage, une vue imprenable !
« Je peux avoir un autre café ? Je n’ai pas envie de m’en aller.
« Moi non plus. Mais viens, j’ai rendu ce moment éternel.
Jacques-Henri LARTIGUE n’avait que huit ans lorsqu’il reçut de son père son premier appareil photographique en 1902. Ce fut le début d’une carrière ininterrompue, menée de front avec la peinture et l’écriture. Mais la photo, et elle seule, le rendit célèbre, tardivement, alors qu’il avait 69 ans.
C’est lors d’une exposition de quelques-uns de ses clichés au MoMa de New York, que le magazine Life lui consacre un portfolio. Coup du hasard, ce numéro annonce la mort du président J.F.Kennedy. Le numéro fait le tour du monde et, du jour au lendemain, Lartigue devient l’un des plus grands noms de la photographie.
Il épouse la fille d’André Messager, Madeleine dite Bibi, en 1919 et leur union, qui dura jusqu’en 1931 , fut comme en témoigne la photo ci-dessus, une longue lune de miel .
Trois femmes se partagèrent ensuite la vie de ce dilettante au coeur léger, heureux dans le luxe comme dans l’adversité, adulé des stars comme des gens de la rue et capable de fixer à jamais l’envol d’un regard ou la tristesse d’un sourire.
Il laisse quelque cent mille clichés, et la totalité de son oeuvre photographique à l’Etat par une donation de son vivant en 1979.
Lartigue est mort à 92 ans à Nice, sereinement, comme il avait vécu. C’était un homme d’une légèreté exemplaire, ce qui évite bien des désillusions.
Miss Comédie
L’ENVIE ET LA LUXURE
« J’ai envie de toi. »
C’est clair, l’un ne va pas sans l’autre, sans l’envie il n’y a pas de luxure, c’est pourquoi je les ai réunis, les deux derniers de mes sept péchés capitaux, mais non les moindres.
Dans quel film ?
Nombreux sont les réalisateurs qui ont exposé leurs fantasmes érotiques dans un film plus ou moins scandaleux, mais celui dont il est question aujourd’hui a fait exploser les bornes de la censure avec un film carrément porno. Je sais, lorsqu’il s’agit d’un artiste reconnu, le porno devient furieusement intéressant.
Or là, ce ne fut pas l’avis de nos voisins transalpins qui ne plaisantent pas avec ça. Malgré son immense talent et ses récents succès, le dit réalisateur est trainé en justice, déchu de ses droits civiques, privé de passeport, condamné à deux ans de prison avec sursis ainsi que les deux acteurs principaux, et son film interdit purement et simplement…
Ailleurs, c’est la curée : indignation, gorges chaudes et rires gras, soulèvement des féministes déchaînées, mais cela n’a pas empêché le film d’attirer un nombre impressionnant de curieux, avides de contempler ce que l’on ne saurait voir, et même pire. C’est cela, la luxure, le sexe dans tous ses états, même de loin.
Le cas est unique dans les annales … du cinéma, je crois, et vous avez déjà deviné de quel film il s’agit, même si vous ne l’avez pas vu.
LE DERNIER TANGO A PARIS, de Bernardo Bertolucci, est sorti en 1972 avec Marlon Brando, Maria Schneider
Catherine Allegret et... Jean-Pierre Léaud, ( qu’allait-il faire dans cette galère ? )
Il n’avait que 31 ans, Bertolucci, quand il a écrit ce scénario inspiré probablement d’un de ces coups de coeur imprévus qui surgissent au coin de la rue et accélèrent votre rythme cardiaque. Une passante, peut-être... ou une passagère dans le métro qui provoque en vous un sentiment d’urgence...
Son idée première, a-t-il confié, était de filmer une aventure amoureuse dont les deux protagonistes resteraient anonymes tout au long de leurs rencontres, ce qui aurait pour effet de rendre leurs ébats de plus en plus torrides.
L’attrait de l’inconnue, Truffaut l’a subi aussi, mais son homme qui aimait les femmes était beaucoup plus pudique.
L’idée de l’anonymat était amusante, mais l’essentiel était quand même de fixer des limites à l’intensité de leurs ébats.
Il aurait dû penser à la censure, ou même à un jeune public toujours impressionnable.
Au lieu de ça, il rêve d’un casting « bankable » et propose le rôle principal à Jean-Louis Trintignant, le conformiste, qui élude poliment.
Belmondo, puis Delon, à leur tour, se défilent.
Brando qui venait de faire LE PARRAIN, a la carrure.
Quant au personnage de la jeune fille, aucune actrice connue n’est envisageable.
Maria Schneider, fille adultérine de Daniel Gélin mais inconnue au bataillon des starlettes et un peu paumée, grisée à l’idée de tourner avec le cador américain, elle fonce.
Bertolucci installe son décor dans un appartement vide du XVIème arrondissement de Paris – loin de Cinecitta…par précaution ? – C’est la que la jeune actrice, dix-neuf ans à peine, sera la victime d’un odieux deal entre le réalisateur et sa vedette masculine, dans une scène à peine regardable qui donna tout de suite au film un formidable élan promotionnel.
La scène n’était pas précisée dans le scenario – c’est le détail qui tue. Mais passons.
Qu’il s’agisse là de LUXURE, cela ne fait aucun doute !
Avec ou sans envie, c’est de la luxure pure et dure, sans concession au sens le plus propre, si l’on peut dire, du terme.
Cette scène cul…te n’est d’ailleurs pas la seule preuve du péché de luxure, le film en est plein, chacune de leurs rencontres en est une.
Et jusqu’à celle qui pourrait prêter à rire, celle où le couple se contorsionne sur le dance floor d’une discothèque, en singeant le pas du tango...Brando à contre-emploi ? Pas vraiment. Le rire devient vite sanglot car cette luxure-là va les mener au drame. La sublime dernière scène fait oublier le scandale car il se dégage de ce film, en toile de fond, une émotion intense.
Bertolucci méritait mieux, finalement, que l’anathème et ses acteurs valaient mieux que tous les Oscars d’Hollywood car ils ont donné plus que leur âme à chaque plan du film, pour élever la luxure au rang de tragédie.
Avec les autres péchés capitaux, il est rare d’en arriver à ce genre d’extrémité. Encore que…
Mais la luxure est un cas particulier, c’est elle qui nous a fait chasser du Paradis !
Donc, pour en terminer avec un dernier tango, danse diablement voluptueuse, prometteuse de futures délices,
je dirais simplement que la luxure est comme le piment d’Espelette, il ne faut pas en abuser mais elle donne un piquant délicieux à nos tête-à-tête, avec ou sans beurre.
Et l’envie ? Ah, l’envie… vaste débat !
Miss Comédie
Chacun des sept péchés capitaux a sa définition, qui va du meilleur au pire ou plutôt du pire au moins pire, comme celle de l’orgueil :
Le sujet de notre dissertation étant le péché, restons dans le péché et parlons de l’orgueilleux, celui s’estime au-dessus les autres.
Là, le modèle est tout trouvé, il est l’emblème de l’orgueil par excellence, et même celui de notre douce France.
Pour une fois l’orgueilleux en question ne sera pas la star d’un long métrage mais celle d’une pièce de théâtre qui fut en son temps l’orgueil de son créateur, Edmond Rostand.
CHANTECLERC, le coq magnifique qui règne en maître sur la basse-cour, est tellement convaincu de son importance qu’il est persuadé que son chant fait lever le soleil.
Nul n’a osé contester ce pouvoir car les animaux de la ferme le craignent et l’admirent pour sa prestance et pour l’ordre qu’il fait régner sur la basse-cour.
Mais voilà qu’il tombe amoureux de la poule faisane et son égarement est tel qu’un matin il oublie de chanter.
Le soleil, fatalement, apparaît au lever du jour et Chanteclerc est la risée de la basse-cour... Il subit alors la tyrannie de certains animaux pervers qui l’obligent à se battre avec un coq de combat ce qui faillit lui coûter la vie. Il réussit sa reconquête grâce à son côté chevaleresque qui éloigne l’ennemi chasseur et ramène la paix dans la basse-cour, et son chant résonne à nouveau haut et fort, hymne à sa vanité glorieuse :
« C'est que j'ose,
» Avoir peur que sans moi l'Orient se repose !
» Je ne fais pas « Cocorico ! » pour que l'écho
» Répète un peu moins fort, au loin « Cocorico ! »
» Je pense à la lumière et non pas à la gloire.
» Chanter, c'est ma façon de me battre et de croire,
» Et si de tous les chants mon chant est le plus fier,
» C'est que je chante clair, afin qu'il fasse clair ! »
C’est sûr, et sa chanson le prouve, Chanteclerc est l’exemple parfait de l’orgueilleux mais n’est-il pas en même temps sentimental ? Courageux ? Pacifique ?
En tout cas, il vole bien au-dessus de la mêlée dans cette basse-cour peuplée de tous les péchés du monde :
le merle est persifleur, cynique, il tourne en ridicule le chant des autres oiseaux, la pintade est prétentieuse et snob, elle rassemble les sots et les mondains pour se moquer de Chanteclerc , le paon est si vaniteux qu’il cesse de faire la roue lorsqu’il baisse les yeux et aperçoit ses pieds, qui sont horribles... il est aussi médisant que la pintade... les nocturnes, hiboux et autres oiseaux de nuit menés par le sinistre grand-duc, sont les ennemis jurés du Jour et veulent éliminer Chanteclerc, son complice. Ils sont cruels, perturbateurs et conspirateurs....
Bref, une horde sauvage dont les bas instincts se libèrent dès que Chanteclerc est en péril.
Autrement dit, l’orgueil n’est qu’une noble attitude qui fait valoir ce qu’il y a de louable dans la nature humaine.
Est-ce bien là le propos de l’auteur de Chanteclerc ?
Et si l’orgueil avait soudain pris la place de sa légendaire modestie ?
Le siècle ne fait que commencer et Edmond Rostand savoure ses deux victoires phénoménales ; CYRANO DE BERGERAC en 1897 et L’Aiglon en 1900, lorsqu’il tombe malade et part soigner sa pleurésie à Cambo-les-Bains dans les Pyrénées Atlantiques .
C’est à la villa Arnaga, qui sera sa résidence définitive, que germe en lui l’inspiration de sa prochaine pièce, Chanteclerc.
Il y travaille durant plusieurs années, dessinant les décors et les costumes de ce projet fou et la pièce voit le jour le 7 février 1910 au théâtre de la Porte St-Martin à Paris avec trois têtes d’affiche : Lucien Guitry, Jean Poquelin et madame Simone, entourés de 70 comédiens et figurants portant plumage ou pelage aux couleurs chatoyantes.
Rostand était alors le grand dramaturge français et les Parisiens attendaient sa prochaine pièce avec impatience. Plus le temps passe plus la fièvre monte et lors de la première, c’est une émeute.
La presse était déchaînée, on ne parlait plus que de cette bande de comédiens déguisés en animaux qui récitaient des alexandrins et éprouvaient des sentiments humains.
Le succès fut immédiat mais de courte durée et la pièce n’eut pas le retentissement de CYRANO ou même de l’AIGLON.
Après CHANTECLERC, Rostand laissa tomber sa plume et n’écrivit plus pour le théâtre.
Pourquoi ? Espérait-il un nouveau triomphe qui eût renforcé sa gloire ?
Son amour-propre en prit-il un coup ?
Et si c’est le cas, nous voici encore devant une belle preuve d’orgueil, non ?
Miss Comédie
:
LA GOURMANDISE
Encore un péché qui n’en est pas un - à condition de ne pas tomber dans l’excès.
Le gourmand adore ce dont il ne faut pas abuser.
Le gourmand n’est ni glouton, ni vorace, il tâte, hume, goûte, mâche, déguste, savoure à petites bouchées ce qu’il faut de salé ou de sucré avec la précision d’un gourmet.
Certaines vitrines attirent irrésistiblement le gourmand, celles des confiseurs : Dans ces temples de la gourmandise, le chocolat est roi.
Ah le chocolat ! En tablettes, bouchées, fondant, mousse ou éclairs, il est le piège fatal du gourmand.
Et le voilà qui s’installe dans les salles obscures où il régale les gourmands de pellicule…..
.... CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE célèbre le culte du chocolat, dans un film unique en son genre, transcendantal dirait Salvador Dali.
La gourmandise ici est vraiment un péché capital et la chocolaterie un paradis inaccessible aux esprits impurs, offrant ses délices à celui qui a su comprendre le sens sacré de la Famille.
Cette parabole résume tant bien que mal tout ce que le film contient de manichéisme mais heureusement, l’essentiel n’est pas là.
On est cloué par un déploiement de tableaux mêlant la magie et le réalisme, d’effets spéciaux époustouflants, de personnages transfigurés par l’imagination débridée de Tim Burton.
Impossible à décrire, cette histoire s’adresse aux enfants mais aussi aux adultes qui ont gardé leur faculté d’émerveillement.
Tout ce qu’on aime chez Tim Burton est là, ses incursions dans le domaine des contes de fées , ses clins d’œil furtifs à ses cinéastes préférés dont on reconnaît quelques bribes légendaires , son habileté à exploiter les fabuleuses machineries du numérique pour ajouter au mystère.
Essayons de résumer : le responsable de toute cette histoire, c’est d’abord le Père, dentiste de profession, qui interdit à son fils Willie de manger des sucreries car cela abime les dents .
Celui qui l’incarne est aussi fantomatique que son rôle est prosaïque : c’est Christopher Lee, l’immortel.
Willie le fils frustré n’a plus qu’une idée en tête, faire chocolaterie qu’il a construite, un temple ouvert à tous les cœurs purs. Willie c’est Johnny Depp, l’enchanteur, figure emblématique du héros à la Tim Burton, créature à la fois inexpressive et survoltée ce qu’il arrive à traduire on ne sait comment, avec son beau visage livide et ses yeux étincelants.
On ne sait trop d’où vient le charme presque luciférien de Johnny Depp.
Ici, il prend un côté « parrain » qui ajoute à son mystère, en lançant un jeu destiné à redonner vie à sa chocolaterie tout en éliminant les visiteurs indésirables.
Le jeu consiste à découvrir les quatre « tickets d’or » cachés dans quatre tablettes de chocolat envoyées à travers le monde… Le gagnant se verra invité à visiter la cité interdite et déguster à vie les réserves de chocolat.
Trois « gosses de riche » gloutons et indisciplinés sont éliminés après une série d’épreuves dantesques…
Imaginez une cascade de chocolat tombant dans une rivière de chocolat où l’un des garçons plonge, ivre de gourmandise, pour être ensuite aspiré dans un tuyau qui l’emmène dans un autre décor… C’est l’un des incroyables effets spéciaux du film .
Deux autres candidates, aussi gloutonnes et mal embouchées, seront éjectées après avoir été bien malmenées.
Tandis que le quatrième, Charly, petit garçon honnête et généreux qui vivant modestement dans une famille unie qui ne peut lui offrir qu’une tablette de chocolat par an, se voit invité à résider à la chocolaterie pour le restant de ses jours, avec sa famille, les mettant ainsi à l’abri du besoin
A l’origine de cette belle histoire, un livre écrit par Roald Dahl publié en 1964 aux Etats-Unis. Un énorme succès qui fit le tour du monde avant d’inspirer Tim Burton.
Voilà : éblouissement, mystification, angélisme, le spectateur est comblé.
Pour ce qui est de la gourmandise, on ne peut pas dire qu’il soit chocolat...
Miss Comédie
LA COLERE
On ne peut pas appeler ça un péché.
La colère est un réflexe respectable et bon pour la santé.
Il permet d’évacuer les mauvais ses pulsions et de réguler le rythme cardiaque.
L’espace d’un instant vous n’êtes pas beau à voir mais ça ne dure pas, vous vous sentez soudain libéré d’un poids et maître du jeu.
En plus, la colère est une pulsion éphémère, elle n’est pas dans les gènes, un saint homme peut avoir de grosses colères, c’est même un signe de réactivité positive.
C’est d’ailleurs ce qui rend difficile le choix d’un film dédié à la colère.
Une seule solution : la scène-culte.
Claude Pinoteau nous la sert sur un plateau en or en 1974.
LA GIFLE, c’est son deuxième film en tant que réalisateur et il nous offre un duo de choc : Lino Ventura et Isabelle Adjani.
Lui, le père dépassé par la jeune génération, avait déjà tourné dans le premier film de Pinoteau , LE SILENCIEUX, premier succès qui les encourage à continuer l’année suivante avec LA GIFLE.
Elle en ado révoltée à la voix suraigüe, avait pourtant envoûté son public l’année précédente à la Comédie Française avec son « petit chat est mort » dit d’une voix angélique par son personnage, Agnès de l’ECOLE DES FEMMES.
Comme quoi pour faire carrière, la bonne voix n’est pas celle qu’on croit .
Les voilà donc face à face pour LA GIFLE :
A première vue, la lutte est inégale. Le lion et le moucheron...
Mais les cris perçants et l’agressivité hystérique de la jeune fille ont vite raison du calme apparent de Papa Ventura.
La gifle est magistrale – une vraie gifle balancée par l’ancien catcheur qui s’en excusa après coup ...
La première prise a dû être la bonne et car elle est censée marquer la rupture entre le père et la fille qui part rejoindre sa mère à Londres. On ne sait pas si les deux acteurs ont fini le tournage en meilleurs termes que leurs personnages...
Evidemment le film n’est pas entièrement habité par la colère, ce serait déprimant. D’accord, les personnages d’ados en révolte font la majeure partie du scénario, avec un Francis Perrin survolté en petit copain d’Adjani, la plus excitée de tous contre l’autorité paternelle.
C’est un joli portrait de notre société dans les années 70 qui n’est resté dans les mémoires que grâce à cette fameuse gifle et au duo Ventura-Adjani. On a oublié les rôles secondaires, qui sont pourtant tenus par de futurs grands talents, un casting impressionnant pour l’époque.
Malgré tous ces bémols, LA GIFLE fut récompensée par le Prix Louis Delluc, pas mal pour un débutant (enfin... il avait quand même 49 ans ! )
Mais Pinoteau n’en avait pas fini avec la colère puisque quatre ans plus tard il réalise, toujours avec Lino, L’HOMME EN COLERE, un film très méchant où la colère prend des relents de banditisme... à oublier.
Il se ressaisit très vite en 1980 pour offrir à Sophie Marceau son premier rôle dans LA BOUM, suivi par la BOUM 2 ; succès oblige.
Mais pour en revenir à la Colère, je pense que Claude Pinoteau était à mille lieues de se douter que LA GIFLE puisse être un jour catalogué comme un film sur la colère !
Savait-il seulement que c’est le pape Grégoire le Grand qui, en l’an 600 après JC, dressa la liste des sept péchés originels d’où, selon lui, découleraient tous les autres ?
Et vous ? Le saviez vous ?
Miss Comédie
L’avarice, ça n’existe plus .
Nous sommes tous des adeptes d’un nouveau savoir-vivre, LE PARTAGE, que personne ne pratique car personne ne sait ce qu’il faut partager ni avec qui.
Aujourd’hui nous sommes tous éco-responsables dans une société équitable régie par la bio-éthique pour le bien du collectif.
Mais je m’égare.
Revenons à l’avarice au sens archaïque du terme celle de nos ancêtres.
Pour le commun des mortels , c’est Molière qui a inventé l’avare et personne d’autre qu’un avare ne peut porter le prénom d’Harpagon, non ?
Il existe plusieurs films sur le sujet mais je n’irai pas par quatre chemins, celui qui s’impose comme une évidence est évidemment L’AVARE, film de Jean-Girod et Louis de Funès, sorti en 1980.
C’est exactement le remake de la pièce de Molière, tourné dans la chronologie de l’œuvre originale, avec un Louis de Funès débridé en Harpagon plus vrai que nature.
Car ce rôle, il l’avait dans la peau et n’a cessé de multiplier en vain les tentatives pour l’interpréter au théâtre ou à l’écran….
Un acharnement dû, dit-on, à une mère dont l’avarice était spectaculaire et dont il se mit à imiter dès son plus jeune âge les tics caractéristiques.
Il ne devint pas avare mais il se confectionna au fil de sa carrière un personnage imperceptiblement imprégné des menus aspects comiques de l’avare.
C’est visible et même frappant lorsque l’on observe attentivement sa filmographie.
Il trimballa cette frustration mine de rien sous son immense génie comique…
Jusqu’à sa rencontre avec le producteur Christian Fechner et sa collaboration avec Jean Girod pour la réalisation. Le trio se lança dans une aventure qui fit un bruit d’enfer et la sortie du film fut l’événement le plus commenté du moment.
Pourtant, avec 2 millions et des poussières d’entrées, ce fut un succès mitigé pour Louis de Funès, habitué à des chiffres astronomiques.
Le film n’a pas non plus obtenu un César mais a donné l’idée au Jury de décerner un César d’honneur à Louis de Funès pour l’ensemble de sa carrière et un extrait du film fut projeté lors de la cérémonie .
C’était un juste retour des choses car le tournage de L’AVARE avait été pour l’acteur une épreuve physique aussi bien qu’un tour de force professionnel.
A peine remis d’un double infarctus, Louis de Funès dut affronter le froid extrême du début de l’année 1980 et de multiples précautions furent prises pour lui faciliter le travail….Un travail acharné pour s’imprégner du texte de Molière auquel il n’était pas question d’ajouter ses improvisations habituelles...
L’acteur de cinéma rompu à toutes les facéties hors scénario se plia à la rigueur extrême d’un dialogue inaltérable sous la direction amicale mais sévère du co-réalisateur Jean Girod.
Face à lui, il avait comme partenaires une bande d’ »inséparables » dont plusieurs ex pensionnaires de la Comédie Française, mais aussi une meute de jeunes élèves du Conservatoire rompus à tous les pièges de la langue de Molière
…. Sur le plateau contrairement à son habitude, il ne régnait pas en maître et se sentait même parfois, aussi dépourvu qu’un débutant comme pour la scène difficile du dernier acte avec Antelme, face à un Georges Audoubert de la Comédie Fraçaise… … un cador !
Ce qui ne l’empêche pas de nous offrir un large éventail de mimiques, gesticulations et onomatopées jeux de scène dont Molière lui-même , en son temps, n’était pas avare .
Pari réussi, donc : faire de ce monument culturel historique un événement majeur dans le cinéma populaire contemporain – et une nouvelle bataille d’Hernani.
Tous les organes de presse se lancèrent dans cette bataille, les uns pour l’encenser, les autres pour le massacrer. La majorité des critiques fut cependant très élogieuse. Robert Chazal dans France-Soir qualifia l’adaptation de « feu d’artifice ».
Quant à Jean-François Revel alors critique à l’Express, il écrivit dans son éditorial que l’interprétation d’Harpagon par Louis de Funés dépassait de loin celle de Charles Dullin qui créa le rôle et était réputé inégalable. Il termine son article avec une belle phrase d’écrivain :
« tout Molière n’est pas dans l’AVARE, mais tout l’AVARE est dans le film de Louis de Funés
Je m’aperçois que raconter un film comique n’est pas rigolo du tout. Surtout lorsque le ressort comique du film ne repose que sur le jeu de l’acteur – alors qu’une tragédie sous-jacente se dessine tout au long de l’action , uniquement perceptible par le spectateur…
Il faut voir le film, c’est clair . C’est l’avarice dans toute sa splendeur.
Miss Comédie
C’est le moment où jamais pour faire un retour sur soi-même alors que la priorité actuelle est de se protéger des autres . Nous vivons une annus horribilis qui ressemble bien à un rappel à l’ordre du Ciel devant une planète sans foi ni loi.
Hé oui, nous pêchons tous sans le savoir et comme nous sommes de plus en plus nombreux, la Terre devient un champ de mines exponentiel.
Il est urgent de se souvenir des sept péchés capitaux et le cinéma est là pour nous les remettre en mémoire.
Il y en a sept et je vous les rappelle, au cas où vous ignoreriez le nom de votre péché mignon :
Colère, avarice, envie , orgueil, gourmandise, paresse, luxure.
Or, le mensonge ne figure pas dans cette liste. Etrange omission ! Car le mensonge est un péché très capital à mon sens, un très vilain péché qui peut faire beaucoup de mal. Je l’ajoute donc à ma liste, n’en déplaise au Seigneur.
On va donc s’amuser à trouver des films qui illustrent le mieux le péché en question. Commençons par le Mensonge, qui est le plus facile à interpréter pour un comédien.
Les films sur le mensonge, on ne les compte plus.
Mais quitte à n’en citer qu’un, je préfère celui qui donne envie de récidive et là, je n’en vois qu’un, qu’on ne se lasse pas de voir et de revoir, le film qui a le pompon de la mensongerie sans relâche, c’est :
LE DINER DE CONS
Dans un scénario machiavélique s’enchaînent les quiproquos, les entourloupes, les coups fourrés autour d’un individu souffre-douleur qui multiplie les boulettes et sème la pagaille dans cet imbroglio de mensonges.
C’est du Feydeau tout cru dans ces chassés-croisés d’adultères entre amis qui se trompent de maîtresses...
Tout le monde ment dans cette histoire et cela pourrait devenir lassant s’il n’y avait ces deux moments de génie qui mettent la salle en délire : Villeret au téléphone sous le regard de Lhermitte hors de lui.
Le casting est époustouflant autour du personnage pivot de Villeret, ce con magnifique qui accumule les bourdes avec un naturel presque retors.
A la hauteur, le génial Thierry Lhermitte, le grandiose Daniel Prévost et tous les complices de ce gang mené de main de maître par Francis Veber, l’auteur de la pièce de théâtre déjà ovationnée avant la sortie du film.
Cette association de malfaiteurs n’ont pas regretté leurs turpitudes : neuf millions d’entrées, derrière TITANIC, et six Cesars la même année : dont meilleur acteur pour Jacques Villeret, meilleur second rôle pour Daniel Prévost et meilleur scenario pour Francis Veber. Sans compter les royalties pour chaque passage sur le petit écran.
Moralité : Il ne faut pas chercher la moralité là-dedans.
Le mensonge, contrairement aux autres péchés capitaux, est une arme à double tranchant : il peut provoquer un drame épouvantable ou déclencher un rire féroce.
Le mensonge, avec ses tours et ses détours, ses manigances verbales a inspiré les plus grands
auteurs de théâtre au point que c’est presque un passage obligé pour maintenir le spectateur en haleine.
Les prouesses de Scapin, d’Arlequin, de Tartuffe comme les héros de Musset pratiquent le mensonge comme ils respirent mais ce n’est pas toujours payant.
Le mensonge est donc un péché capital, même s’il s’agit d’un « pieux mensonge«. Alors là, c’est de la ruse digne de Judas.
Miss Comédie
(Prochain péché capital : l’avarice.)
Patience ! Miss Comédie sera bientôt de retour avec « une scène par jour » - ou presque !
Le temps de peaufiner une nouvelle formule d’alimentation pour mon blog qui prend un peu trop d’embonpoint, une bonne detox , quoi.
A bientôt pour de nouvelles divagations hors Covid…
Miss Comédie
interùezzp
La plage préférée des cinéphiles même s’ils n’y ont jamais mis les pieds. Film-culte sorti en 1978 et relayé assidûment sur le petit écran, c’est le tableau vivant des vacances à la mer ; éternellement d’actualité.
Sans aller plus loin, vous avez tout pour identifier cette plage…
Alors :
Qui est le réalisateur de ce film ?
Citez quelques noms de la distribution splendide qui anime cette plage ?
Pour ceux qui auraient un trou de mémoire, les réponses seront données dans le prochain article.
Et ce sera la fin des photos-mystère des plages, puisque l’été touche à sa fin.
J’espère que ce petit jeu vous aura distrait un moment avant d’affronter un nouveau mystère, celui de la rentrée...
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REPONSES DE LA PHOTO MYSTERE 2 :
Film : LA PLAGE
Réalisateur : Danny Boyle
Interprètes : l’Américain Leonardo di Caprio, les deux Français : Guillaume Canet et Virginie Ledoyen.
A bientôt,
Miss Comédie
Voici une autre plage dans un autre film, sorti en 2000.Si vous l’avez vu, vous pouvez me donner le nom des trois interprètes principaux ?
Et celui du réalisateur ?
Pour les interprètes, l’un est Américain, les deux autres sont Français.
Pour ce qui est du réalisateur, c’est en général celui dont les gens oublient le nom, grosse lacune car sans réalisateur, il n’y aurait pas de film !
Voilà, ce petit jeu a pour but de nous rafraîchir la mémoire dans cet immense champ de culture qu’est le Cinéma.
Réponses de la Photo-mystère N°1 :
GUSTAV VON ASCHENBACH interprété par Dirk Bogarde
GUSTAV MALHER l’Adagietto de la Symphonie No5
A bientôt sur une autre plage,
Miss Comédie